par Monique Mas
Article publié le 28/09/2009 Dernière mise à jour le 29/09/2009 à 02:22 TU
Barack Obama, Nicolas Sarkozy et Gordon Brown, à la tribune du G20 de Pittsburgh, le 25 septembre.
(Photo : Eric Feferberg / AFP)
Pierre Razoux : De la part du président Obama, c’est extrêmement bien joué. En ayant annoncé publiquement sa volonté de renoncer au déploiement en Europe de son projet de bouclier anti-missiles, il renvoie la balle à la fois dans le camp de la Russie, en mettant les autorités russes devant leurs responsabilités – en leur disant : « Voilà, vous souhaitiez me voir faire cela, je le fais, donc maintenant c’est à vous de faire un geste, sachant que vous n’avez plus aucune bonne raison de déclarer que les Etats-Unis ou l’OTAN ont un agenda caché face à la Russie ». Ce faisant, il a mis la balle également dans le camp de l’Iran en montrant par sa volonté de dialogue qu’il refuse de se protéger a priori contre d’éventuels missiles iraniens. Cela a également fait comprendre aux Iraniens que le président américain est prêt éventuellement à jouer le jeu de la dissuasion nucléaire avec l’Iran. Le message qu’il fait passer indirectement aux Iraniens, c’est : « Vous voulez, ou vous imaginez, avoir la bombe nucléaire ? Très bien mais dans ce cas, sachez toutes les conséquences que cela a pour vous et notamment l’application d’une stratégie de dissuasion nucléaire à votre encontre ! ».
Monique Mas : Dans l’immédiat, on ne voit pas vraiment de changement d’attitude des uns et des autres au plan diplomatique. Est-ce que l’on peut malgré tout imaginer que tout ceci ait une incidence sur la rencontre prévue le 1er octobre à Genève avec le groupe des six pays qui suivent le dossier nucléaire iranien ?
PR : Je ne sais pas, je ne suis ni dans la peau des négociateurs iraniens ni dans celle des négociateurs européens. Mais ce que l’on voit clairement, c’est une volonté manifeste des Iraniens, toutes tendances confondues, de négocier. Même Ahmadinejad, malgré tout ce que l’on peut dire à son encontre, a adopté un ton finalement beaucoup plus modéré que lors des précédentes réunions. Ce qui est sûr, c’est qu’il est bien évidemment embêté parce qu’il a toujours du mal à imaginer de dialoguer avec les Etats-Unis. Mais en même temps, il sait que ce dialogue est nécessaire et incontournable pour lui et pour son pays. Donc l’impression qui se dégage est que l’intelligentsia iranienne souhaite par tous les moyens la discussion et pousse au dialogue à la fois le Guide suprême et le président Ahmadinejad avec, d’un autre côté, une certaine réticence du président Ahmadinejad, sachant que lui-même, en même temps, sait bien au fond de lui qu’il ne peut pas faire autrement que dialoguer avec les Américains. Dans ce climat là, il est évident que tous ceux qui ont intérêt à faire échouer ce rapprochement et cette négociation entre les Occidentaux – avec les Américains au premier plan – et les Iraniens, tous ceux là, et notamment le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou – qui a clairement un intérêt objectif à faire capoter ce rapprochement – vont faire feu de tout bois pour instrumentaliser tous les prétextes pour faire comprendre qu’on ne peut pas discuter avec l’Iran.
MM : Du point de vue de l’Iran : dialoguer, mais pour concéder quoi et sur quel terrain ?
PR : Ce qui apparaît très clairement dans les discussions informelles avec les Iraniens, c’est deux choses. Tout d’abord, la volonté d’un dialogue au plus haut niveau, c’est-à-dire la volonté d’un dialogue direct entre Obama et Ahmadinejad, ou du moins entre leurs plus proches conseillers. En tout cas, d’un dialogue à ce niveau là parce que pour les Iraniens c’est la certitude d’une reconnaissance du régime. En fait, les Iraniens recherchent avant tout la légitimation de leur régime. Et le deuxième point, c’est une négociation globale. C’est-à-dire non pas des pré-conditions, l’arrêt du programme nucléaire ou l’encadrement du programme nucléaire et ensuite on discute, mais une discussion globale où tout est sur la table. Du point de vue des Iraniens et tel qu’on peut le comprendre, le nucléaire est parfaitement négociable, à condition de le mettre en balance avec beaucoup d’autres choses. Ce qu’ils veulent, c’est une négociation globale et non une négociation pas à pas où on leur dirait par exemple : « Renoncez au programme nucléaire et nous, de notre côté, nous acceptons ceci ou cela… »
MM : Dans la perspective d’un apaisement entre la communauté internationale et l’Iran, qu’est-ce qui gênerait réellement Israël ? Est-ce que cela lui poserait un problème politique, au plan du discours, ou vraiment comme il l’affirme sur un plan strictement sécuritaire ?
PR : C’est beaucoup plus au niveau du discours politique parce qu’en fait, ce qui gène beaucoup le gouvernement Netanyahu, c’est bien entendu la crainte de voir la relation spéciale entre les Etats-Unis et Israël se distendre un peu. Mais c’est surtout le fait de faire le lien entre les dossiers palestinien et iranien. Dans un premier temps, les Israéliens ont reproché aux Américains le fait de faire le lien entre les dossiers palestinien et iranien. Mais dans un deuxième temps, cela les arrange bien finalement maintenant, étant donné qu'ils savent qu’ils ne peuvent pas faire de concessions et que les Américains savent que les Israéliens ne peuvent pas faire de concessions sur tous les dossiers. En faisant une concession sur le dossier iranien, en acceptant de ne pas frapper, de ne pas intervenir militairement, même si les Israéliens adoptent une rhétorique très martiale et très dure, le gouvernement Netanyahu a l’assurance de pouvoir tenir une position très ferme face aux Palestiniens qui constituent son péril ou du moins son sujet d’inquiétude premier.
MM : Et au plan de la sécurité d’Israël justement, est-ce qu’une frappe, préventive ou non, contre l’Iran est imaginable et est-ce qu’elle présente un intérêt quelconque ?
PR : Une frappe israélienne sur l’Iran ? Oui, elle est parfaitement imaginable. Est-elle crédible ? Je ne sais pas. Ce qui semble certain, là aussi, c’est que les Israéliens sont dans les starting-blocks prêts à frapper dès que le pouvoir politique leur en donnera le signal. Ceci dit, je ne pense pas qu’ils aient intérêt à le faire et eux-mêmes savent qu’ils n’ont pas intérêt à le faire, car s’ils le faisaient pendant la phase de négociations avec l’Iran, c’est-à-dire pendant les trois mois que le président Obama et les Européens ont concédé aux Iraniens pour discuter, du 1er octobre à la fin décembre, ils porteraient la lourde responsabilité du chaos régional qui risquerait de suivre cette frappe et ils porteraient la responsabilité de l’échec des négociations. Je pense que leur stratégie consiste beaucoup plus à attendre la fin et donc, de leur point de vue, l’échec de ces négociations, pour avoir plus de crédibilité, soit pour frapper plus tard, soit simplement pour menacer de frapper et ne pas le faire, afin d’obtenir des concessions matérielles plus importantes face aux Américains. Il y a toujours ce jeu du gouvernement israélien qui consiste à dire : « Si vous ne voulez pas que je frappe l’Iran, donnez moi davantage de moyens d’assurer ma protection, donc livrez moi davantage d’avions, livrez moi davantage de missiles anti-missiles, etc. » Tout cela fait partie de la rhétorique habituelle.
MM : Une menace dissuasive, on comprend. Mais une frappe ? Et après la frappe ?
PR : Et après la frappe ? Pas grand-chose. Les experts s’accordent à penser que même si une frappe israélienne avait lieu sur la totalité ou du moins sur les principaux sites du programme iranien, cela pourrait bien sûr désorganiser le programme, détruire une partie des centrifugeuses. Mais de toute façon, la matière fissible produite ne pourra pas à priori être détruite. Elle est « en coffre », elle existe et elle continuera d’exister. Et donc, ils peuvent au mieux gagner un, deux ou trois ans sur le programme mais c’est tout. Ils peuvent retarder l’échéance à laquelle l’Iran serait capable éventuellement de construire une bombe. Mais ils ne peuvent pas empêcher à terme l’Iran de faire sa bombe. Donc là aussi, le calcul est biaisé. En tout cas, je pense que l’intérêt de l’Iran est beaucoup plus de rester en limite de seuil. Un petit peu comme Israël, paradoxalement, c’est-à-dire, d’avoir une dissuasion ambigüe. Israël dit « Nous ne serons jamais les premiers à introduire l’arme nucléaire au Moyen-Orient ! », ce qui veut dire qu’Israël n’a jamais reconnu officiellement la possession d’un arsenal nucléaire. On peut imaginer que les Iraniens adoptent la même stratégie qui consiste à dire : « Non officiellement nous n’avons pas d’arme nucléaire mais nous avons la capacité de la faire rapidement si besoin était ! »
MM : Mais la politique de dénucléarisation de l’administration Obama ne va-t-elle pas contraindre Israël un jour ou l’autre à admettre qu’il possède la bombe ?
PR : Tout à fait et c’est justement l’une des craintes du gouvernement israélien parce que, pour des tas de raisons à la fois politiques et stratégiques, le gouvernement israélien préfèrerait l’ambigüité. Et il est vrai que le maintien de cette politique américaine pourrait à terme les obliger à se positionner officiellement.
MM : On peut aussi imaginer que - ne serait-ce que pour des raisons de prestige régional - cela pourrait être une revendication de l’Iran : faire reconnaître par Israël qu’il détient la bombe ?
PR : Du point de vue iranien, certainement. Mais c’est là où intervient le jeu régional, car à l’inverse, tous les autres Etats de la région sont les fervents défenseurs d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient - notamment l’Arabie Saoudite, les principales monarchies du Golfe, mais également l’Egypte et la Jordanie, qui ont toujours soutenu et poussé très fort l’idée d’une zone dénucléarisée. Donc, si d’un côté l’Iran et Israël se déclarent officiellement comme des puissances nucléaires, cela pourrait avoir un effet très négatif sur les autres pays arabes.
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