par Dominique Raizon
Article publié le 20/08/2008 Dernière mise à jour le 02/10/2008 à 14:46 TU
Embarqués par le général Bonaparte dans l'expédition d’Egypte, quelque 160 savants composent la Commission des arts et des sciences. Ces civils -tous scientifiques émérites dans leurs disciplines- sont pourtant peu considérés par les militaires. Ces derniers, jaloux de leur estime auprès du général Bonaparte, les désignent comme « les savants » et parfois « les ânes ».
La petite histoire rapporte que lors des attaques armées , les militaires préconisaient qu'au milieu des bataillons "en carré" figurassent tout à la fois « les ânes et les savants ». Il semblerait toutefois, selon Yves Laissus, inspecteur général honoraire des bibliothèques, que cela ne reflète pas tout à fait la réalité.
« Les attaques en carré sont une technique nouvelle pour les Mamelouks surpris par la tactique. »
Mathématiciens, chimistes, physiciens, astronomes, médecins, pharmaciens, mécaniciens, naturalistes etc. tous ces scientifiques ont été choisis entre janvier et avril 1798 par les grands directeurs, polytechniciens Monge, Berthollet, Fourrier et Costaz pour accompagner le général Bonaparte dans sa campagne d’Egypte, le 19 mai suivant.
Un militaire, le général Caffarelli de Falga, est chargé par le Directoire de contribuer à la constitution de cette commission. Considérés comme appartenant à l’élite de la France dans leurs disciplines respectives, ces scientifiques travailleront pendant trois ans sans relâche.
Inspecteur général honoraire des bibliothèques
« Par la variété-même de leurs disciplines, les scientifiques ont pu réaliser une enquête ample et diversifiée. »
Installés dans le palais du faubourg de Nasrieh, au Caire, un quartier très vite désigné comme étant celui de l’Institut, les douze membres que compte chacune des quatre sections, font vivre cet académie comme une sorte de « cité des sciences ».
On y dépose des échantillons minéralogiques, des animaux naturalisés ou conservés dans de l'alcool, des costumes d’indigènes, des vestiges antiques. On y fait des communications sur l’anatomie de l’aile de l’autruche, par exemple, et on y organise des réunions pour s’interroger sur le lieu d’implantation d’un hôpital ou bien sur la manière de purifier l’eau du Nil ..
En fait, il faut avoir en tête que « le mot « Institut » renvoie à une institution, laquelle peut avoir plusieurs adresses et non pas une seule. Quant à ‘Institut de France’, il désigne l’assemblée de savants qui le composaient et non pas un bâtiment. Napoléon Bonaparte assistait aux réunions de cette Académie savante, dont le président changeait tous les trois mois et les militaires avaient le droit d’assister aux réunions scientifiques », souligne l’actuel secrétaire général de cette bibliothèque et de l'Institut, le Dr. Abdel Rahman Al Charnoubi.
Professeur de Philosophie et d'Histoire des sciences au MNHN
« Napoléon n'apportait pas que la guerre et la domination, il apportait aussi les Lumières et les conquêtes de la science et de la technique. »
Au-delà de la collecte d’un matériel d’études, « une grande partie du travail accompli par les chercheurs consiste dans la mise en place de méthodes bien connues des scientifiques de l’époque », souligne Jean-Marc Drouin, notamment en ce qui concerne « le repérage dans l’espace, préalable à toute enquête géographique », ou bien encore le cheminement à respecter pour correctement décrire, nommer et classer selon les règles préconisées une cinquantaine d’années plus tôt par le naturaliste suédois Carl von Linné ( contemporain du Français, le comte de Buffon).
Evocation des expériences scientifiques qui, selon lui, sont les plus marquantes de l’expédition en Egypte.
Les fruits des travaux effectués sur place par les chercheurs seront rassemblés, au retour en France, et prendront une forme définitive dans la Description de l’Egypte, une publication qui s'étalera entre 1809 et 1825 et qui représente, jusqu’à nos jours, le premir savoir propre sur l'Egypte et un monument éditorial.
Que reste-t-il de nos jours de ce brillant Institut ? Une bibliothèque, très riche, mais très peu fréquentée, au grand regret d’Abdel Rahman Al Charnoubi, qui l’a confié à Gaby Lteif, de RMC Moyen-Orient : « la preuve, lorsque vous êtes arrivés chez nous, vous n’avez trouvé personne, même pas un seul client. Les visites que nous recevons sont très rares. »
« Sur les étagères, ajoute le conservateur, se pressent les livres laissés par les savants avant leur retour en France. Certains datent des XVII ème et XVIIIème siècles et sont d’ une grande valeur patrimoniale. Nous disposons de plus de 32 000 livres, parmi lesquels d’excellentes collections de Voltaire et des ouvrages sur la Constitution française. Malheureusement, la culture en Egypte n’est pas imprégnée de la culture française et personne ne se rend à cette bibliothèque, exceptés quelques lettrés qui s’intéressent à l’histoire, la littérature, les arts, et les monuments historiques, et qui maîtrisent la langue française. »
Pour en savoir plus :
* Lire : Les grands voyages scientifiques au siècle des Lumières, Jean-Marc Drouin et L'herbier des philosophes, du même auteur, aux éditions du seuil.
L’expédition d’Egypte, article de Francine Masson, directrice de la bibliothèque de l'Ecole des Mines de Paris.
L'expédition d'Egypte, le rêve oriental de Bonaparte, de Laure Murat et nicolas Weill aux éditions Découvertes Gallimard
* Consulter les sites de :
- L'Institut français d’archéologie orientale (IFAO)