par Dominique Raizon
Article publié le 26/08/2008 Dernière mise à jour le 10/10/2008 à 09:54 TU
La Description de l’Egypte ou Recueil des observations et recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition française est un véritable monument éditorial. Ancien conservateur de la bibliothèque de l'Imprimerie nationale, Paul-Marie Grinevald souligne que « l'ouvrage a nécessité la fabrication de quelque deux millions de feuilles de papier de format inusité à l'époque, pouvant atteindre, pour le Grand monde et le Grand Egypte, un format qui dépasse le mètre ! »,,
« Confiée au papetier d'Arche, un artisan des Vosges, la fabrication de ce papier sera à elle seule une aventure : la fabrique, mise à sac par les cosaques en 1816 aura en effet bien des difficultés à fournir les commandes requises pour l'édition », rappelle Paul-Marie Grinevald, qui, depuis plus de quinze ans, se penche avec passion sur les archives de cet ouvrage, lesquelles rendent compte, entre autre, de la vie des artisans graveurs de l'époque.
Inspecteur général honoraire des bibliothèques
« Ce n'est pas un ouvrage historique ; c'est une enquête. »
La petite habitation à l'égyptienne par Jean-Jacques Lequeu, vers 1800, Bibliothèque nationale de France, Paris.
© BNF
Dès le retour de l'expédition, Jean-Antoine Chaptal, ministre de l’Intérieur de l'époque, convoque tous les savants de la mission égyptienne pour constituer une commission de huit membres chargée de publier les travaux. Un volume de gravures est présenté à Bonaparte, en janvier 1808, et les premiers volumes paraissent l’année suivante, édités par ordre de l’empereur. Les suivants, sous la Restauration, le seront par ordre du roi ; quant aux derniers, édités en 1826 (bien que datés de 1823), ils le seront par ordre du gouvernement.
Etabli d’après tous les relevés remis par l’ingénieur géographe Jacotin au général Andréossy dès 1802, un volume épais de 47 feuillets (au format 108 par 70 centimètres) n’a toutefois pas été publié en même temps que les autres tomes de la Description. Il s’agit de l’Atlas cartographique, qui a été placé sous scellé en 1808 par ordre de l’empereur lui-même.
« Si on mettait côte à côte les feuilles de ce nouvel atlas, on couvrirait une surface de 70 m². »
C’est sous l’impulsion de Jean-Joseph Marcel (1776-1854), ancien directeur de l’Imprimerie nationale installée au Caire, que la commission adopte, en 1807, le modèle luxueux et très onéreux qu’il propose de réaliser à l’Imprimerie impériale. De grands moyens techniques et financiers sont déployés pour cette publication d’une exceptionnelle qualité, effectuée sur le budget de l’Etat.
Tiré à mille exemplaires, répartis en huit cents exemplaires sur papier fin et deux cents sur vélin, l’ouvrage est organisé en trois parties : Antiquité, Histoire naturelle et Etat moderne. Fabrication très coûteuse, prix de vente très élevé... : la Description de l’Egypte, au final, connaît certes un succès d’estime mais ne sera jamais couronnée par un franc succès commercial.
« C’est un ouvrage énorme qui a couté 4 millions de francs de l’époque. »
Dans la droite ligne d’un siècle qui cultive le goût pour les encyclopédies et les dictionnaires, la Description de l’Egypte est bien un produit de l'époque. Bonaparte n'est pas l'initiateur du projet. C'est le général Kléber, encouragé par Louis Costaz (directeur du Conservatoire des Arts et métiers) qui oriente les savants vers une étude de l'Egypte moderne, lors d'une commission créée le 19 novembre 1799.
Au XVIIIesiècle, un vaste courant intellectuel et culturel parcourt l’Europe toute entière. L'instruction doit émanciper les peuples, l'ignorance étant l'agent de la tyrannie et de l’intolérance. Les esprits éclairés de ce siècle -dit des Lumières en raison de l’effervescence philosophique qui l’anime- misent sur la curiosité intellectuelle et les découvertes scientifiques pour mieux vaincre l’obscurantisme.
Cela ne sera pas toujours bien perçu en Egypte : « Il ne faut pas perdre de vue, souligne Roland Gilles, membre du comité scientifique de l'exposition Bonaparte et l'Egypte, feu et lumières (IMA, 2008), que les fondements de cette pensée philosophique, née en Europe au XVIII ème siècle, heurtaient profondément ce peuple d'Orient, resté attaché à sa religion et à ses traditions. »
membre du comité scientifique de l'exposition "Bonaparte et l'Egypte, feu et Lumières" (IMA)
« L'athéisme était incompréhensible pour le peuple du Caire. »
Au-delà des objectifs philosophiques visés, cette publication monumentale servira, en fin de compte, le mythe impérial. Paul-Marie Grinevald, attire l'attention sur l'entête "Napoléon le Grand" qui figure en première page de la Description de l’Egypte : « Cette mention fait écho à l’entreprise de Colbert qui ambitionnait, dans le 'Cabinet du Roy' de Louis XIV, de recenser toutes les richesses et tous les Arts et métiers existant sous Louis XIV, une entreprise qui ne sera réalisée que plus tard par l’Académie des sciences. »
Pour en savoir plus :
Lire les ouvrages d’Yves Laissus (éd.Fayard), L’Egypte, une aventure savante et Jomard.
Lire L'expédition d'Egypte, dans la collection Découvertes Gallimard.
Lire L'Or de Paris, de Rifâ'a al-Tahtâwî, Sindbad, Paris, 1988.
Autour du sujet
02/10/2008 à 15:25 TU