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Etats-Unis

Le silence coupable du PDG d’Enron

Alors qu’il aurait pu expliquer la faillite brutale du géant de l’énergie, le patron d’Enron, Kenneth Lay, a refusé de témoigner face à une commission parlementaire. Des membres du Congrès s’en sont pris à lui. Selon le Wall Street Journal, il a joué un rôle direct dans les transactions douteuses à l’origine de la chute du groupe.
De notre correspondant à New York

En attendant que justice soit faite, les employés d’Enron ont certainement éprouvé un certain plaisir à voir leur ancien patron courber l’échine, alors que les membres du Congrès se relayaient pour le sermonner. Kenneth Lay, un des dirigeants les plus puissants du pays voilà encore quelques semaines, n’était plus mardi qu’un homme aux abois cherchant refuge dans le silence au lieu d’expliquer son rôle dans la faillite brutale du géant de l’énergie en décembre dernier. L’époque semblait lointaine, où le patron de la septième entreprise américaine se faisait affectueusement appeler «Kenny boy» par le président George W. Bush, où il rencontrait le vice-président sur la politique énergétique et finançait généreusement le parti républicain.

Face à une des commissions du Congrès qui enquête sur la plus grave faillite de l’histoire des Etats-Unis, Kenneth Lay faisait simplement figure d’accusé sommé de s’expliquer au nom des milliers d’employés d’Enron qui ont tout perdu, travail et retraite. Il était assigné à comparaitre, après avoir refusé de témoigner de son plein gré. Comme cinq hauts responsables interrogés jusque là, Lay, qui a démissionné en janvier, avait fait savoir qu’il s’abriterait derrière le cinquième amendement de la constitution qui l’autorise à garder le silence pour se protéger d’éventuelles poursuites. En guise de question, les responsables du Congrès n’ont donc pu que lui adresser des sermons qu’il a dû écouter jusqu’au dernier, pendant une heure et demi.

Des bénéfices artificiellement gonflés

«Mon Etat a été saigné à blanc»a déploré Barbara Boxer, sénateur de Californie où les dérégulations promues par Enron ont entraîné de graves coupures de courant l’an dernier. «Ce que vous avez fait (...) était sans scrupules. Monsieur Lay, je regrette que vous ayez choisi de ne pas expliquer de quelle manière vous (...) avez apparemment totalement échoué à remplir vos responsabilités», a pour sa part estimé le sénateur John McCain. «Vous êtes un bonimenteur de fête foraine, sauf que ce serait injuste pour les bonimenteurs», a affirmé le sénateur Républicain Peter Fitzgerald. «Un bonimenteur, lui au moins, vous dira tout de suite qu’il joue un jeu truqué». A ces mots, Kenneth Lay n’a pu réprimer un rictus. «Monsieur Lay a une histoire à raconter» a estimé le sénateur Byron Dorgan. Enron a «constamment défié et distordu les règles, manipulant les informations financières pour dissimuler des dettes et faire apparaître des profits qui n’existaient pas» a-t-il ajouté.

Kenneth Lay est soupçonné d’avoir couvert des pratiques comptables douteuses qui ont permis par le biais de partenariats de dissimuler 500 millions de dollars de dettes. On le soupçonne, avec d’autres dirigeants, d’avoir fait fortune sur la faillite de son groupe et on lui reproche d’avoir encouragé ses employés à acheter des actions alors qu’il savait que le groupe menaçait de s’effondrer. Ebranlé par les assauts des membres du Congrès, Kenneth Lay s’est dit «profondément attristé» par les conséquences de la faillite de son groupe. «Mes avocats m'ont recommandé de ne pas témoigner en m'appuyant sur le cinquième amendement», a-t-il affirmé, ajoutant que «l'une des lectures fondamentales de ce cinquième amendement est de protéger un homme innocent». Ces propos ont provoqué une rumeur dans la salle. «Je suis profondément troublé par l'exercice de ce droit, car il peut être perçu comme l'aveu de quelque chose à cacher», a-t-il ajouté avant de conclure : «Je refuse très respectueusement de répondre à toutes les questions de cette commission».

Rien à cacher ? Le Wall Street Journal a révélé l’existence d’un document signé par Kenneth Lay en juin 2000 pour approuver une transaction entre Enron et un de ses «partenaires», utilisés pour gonfler artificiellement les bénéfices et donc le prix de l’action Enron. Jusque là, Kenneth Lay et sa femme affirmaient n’être pas au courant de ces tours de passe-passe financier. Le président d’un comité d’enquête interne, William Powers, par ailleurs doyen de la faculté de droit du Texas, a estimé devant le Congrès que la faillite était due à «un défaut fondamental de leadership et de management». «Nous avons découvert une tentative systématique et générale de donner une image fausse de l’état financier de la compagnie», a-t-il ajouté.

Selon lui, les dirigeants d’Enron ont reçu des dizaines de millions de dollars qu’ils n’auraient jamais dû toucher. Toujours selon lui, Kenneth Lay a approuvé un partenariat financier mis au point par des dirigeants et «porte une responsabilité significative dans l’échec d’Enron de mettre en place des procédures de contrôle suffisamment rigoureuses pour prévenir les abus». Quoi qu’il en soit, le mutisme de l’ex-patron de Enron ne le met pas à l’abri des enquêtes lancées par les ministères de la Justice et du Travail et la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de Wall Street.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 13/02/2002