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Timor-oriental

Vieira de Mello : «Il fallait partir de zéro»

Sergio Vieira de Mello est le représentant spécial de l’ONU au Timor-oriental. Il fait le bilan de trois ans d’administration par l’ONU. Entretien.
De notre correspondant au Timor-oriental

RFI : Quelles sont les plus belles réussites de l’administration transitoire des Nations unies au Timor oriental ?
Sergio Vieira de Mello :
Le Conseil de sécurité de l’ONU, en octobre 1999 nous a donné le mandat le plus ambitieux de l’histoire des Nations unies, à savoir, de construire un pays. Il fallait donc partir de zéro, et nous avons essayé, et je crois réussi, à créer une nouvelle fonction publique, une nouvelle administration. J’ai nommé après les élections du 30 août 2001 un gouvernement de transition, qui est composé de ministres timorais et qui est soutenu activement par les Nations unies. Je crois que c’est une grande réussite, en moins de deux ans, de créer une nouvelle administration publique.

On nous a aussi demandé de créer une nouvelle vie politique au Timor, de favoriser la création de partis politiques démocratiques et d’organiser des élections pour élire une assemblée constituante en août dernier. Seize partis politiques se sont inscrits, et toute la campagne politique et les élections se sont déroulées dans un climat de paix et de stabilité tout à fait remarquable, je crois que c’est là une deuxième réussite.

Le troisième objectif était de créer un nouveau système judiciaire, et ce n’était évidemment pas facile. On ne forme pas des juges, des procureurs et on ne reconstruit pas tout un système qui avait cessé de fonctionner et d’exister en septembre 1999 en quelques mois. Bien que ce soit une réussite, c’est peut-être le pilier de ce nouvel État qui est le plus fragile.

Enfin, point d’importance : la sécurité, qui prévaut au Timor oriental. Je crois que nos militaires, et notre police internationale et à présent la police Timoraise que nous avons également créée à partir de rien, font un travail tout à fait remarquable. Les frontières du Timor sont calmes et dans l’ensemble les Timorais vivent dans un climat de grande sécurité.

RFI : Si cette mission était à refaire, ici ou ailleurs, que changeriez-vous ?
SVM :
Si je devais recommencer en apprenant les leçons de ces deux dernières années, je dirais que la première chose serait de pouvoir déployer dès les premières semaines des équipes de spécialistes dans les divers secteurs de l’exécutif du gouvernement. J’aurais eu besoin de spécialistes en budget, en trésorerie, en taxes et impôts. J’aurais eu besoin d’équipes de spécialistes dans des domaines prioritaires comme l’éducation, la santé, le contrôle des frontières, les douanes, l’administration pénitentiaire: c’est-à-dire toute la gamme des fonctions gouvernementales que l’on nous demandait de rétablir au Timor. Pendant une période initiale, cela nous aurait donné le temps d’identifier des Timorais capables d’exercer ces fonctions ou du moins de les former. Et cela a pris plusieurs mois avant de pouvoir lancer une campagne de recrutement et de sélections parmi les Timorais, la plupart d’entre eux, sans aucune expérience gouvernementale, car les cadres moyens et supérieurs de l’administration publique au Timor oriental étaient des Indonésiens qui sont tous partis évidemment.

Je crois également que dans la tâche de reconstruction de l’infrastructure et des divers services publics, il nous aurait fallu avancer beaucoup plus vite, avec moins de bureaucratie, avec moins d’exigences réglementaires dans l’approbation des projets, dans les structures de mise en œuvre de ces projets, dans les procédures d’acquisitions d’équipements et de biens matériels nécessaires à ce travail de reconstruction. Si les Nations-Unies devaient gérer une opération semblable à l’avenir, nous pourrions simplifier les procédures et raccourcir les délais.

Je dirais enfin qu’il serait essentiel que les pays donateurs nous donnent au départ, c’est à dire dans les toutes premières semaines les moyens financiers d’exécuter un mandat aussi ambitieux que celui qu’on nous a donné. Il est en effet facile d’approuver une résolution au Conseil de Sécurité, nous demandant d’administrer un territoire qui a été dévasté par la violence irrationnelle de septembre 99, encore faut-il ensuite nous donner les moyens et les moyens financiers de le faire et de le faire très rapidement.

RFI : Quels ont été les moments difficiles de cette mission ?
SVM :
J’ai découvert au cours de cette mission, mais je m’en étais déjà aperçu, que l’un des rôles des Nations unies en général est souvent celui de bouc émissaire. Notamment au Timor oriental où nous étions responsables de tout. J’ai mieux compris, après le Kosovo et le Timor, combien il est difficile de gouverner. Nous sommes évidemment responsables de tout, et surtout de ce qui ne va pas, où de ce qui va mal, et les premiers mois ont été excessivement difficiles et pénibles.

Nous avions des manifestations presque quotidiennes devant le Palais du gouvernement (siège de l’ATNUTO). Pourquoi ces manifestations? parce que le peuple timorais s’attendait à ce que les Nations unies arrivent, et tel un magicien, transforme la dévastation de septembre 99 en prospérité, et ce, en quelques mois. Ce n’était évidemment pas possible, il a fallu les raisonner, il a fallu passer beaucoup de temps à leur parler et à leur expliquer que nous ne pouvions pas faire de miracles, et ils ont compris. Et après ces bruyantes manifestations, toutes ces critiques de la première année, nous vivons maintenant dans un climat de paix sociale tout à fait remarquable. Les reproches qui nous sont désormais adressés sont rares, pas toujours très justifiées et de plus en plus, c’est le gouvernement timorais que j’ai nommé en septembre de l’année dernière, qui fait l’objet des critiques de la population. Je me sens donc beaucoup mieux aujourd’hui que cela n’était le cas en avril ou mai de l’an 2000.



par Propos recueillis par Cyril  Bousquet

Article publié le 02/04/2002