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Quinquennat

Les inconnues du quinquennat

Jacques Chirac a dénoncé les risques "d'aventure institutionnelle", liés à l'instauration du quinquennat. Contraint de justifier son propre virage en banalisant cette évolution, il s'est résolu à suivre plus qu'à impulser une réforme lourde d'incertitudes. Le prochain chef de l'Etat sera élu pour cinq ans : c'est la seule évidence face à une multitude d'inconnues, tant institutionnelles que politiques.
Va-t-on vers un régime présidentiel ?

Le quinquennat n'implique pas de manière immédiate le basculement de la Vème République vers un régime présidentiel. Ce dernier suppose une stricte séparation des pouvoirs entre un parlement qui ne peut être dissout et un gouvernement qui n'est pas responsable devant la représentation nationale. L'instauration d'un quinquennat "sec" ne prévoit pas cette évolution que revendiquent de nombreuses personnalités, du gaulliste Philippe Séguin au ministre souverainiste de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement. En introduisant un déséquilibre institutionnel au profit du chef de l'Etat, le quinquennat pourrait en revanche relancer à terme un débat sur ce processus.

Le pouvoir du chef de l'Etat sera-t-il renforcé ?

Tout et son contraire a été écrit sur ce point. Certains constitutionnalistes estiment que la puissance résulte de la durée et que la réduction du mandat présidentiel ne peut qu'amoindrir le pouvoir du président de la République. Les défenseurs de cette thèse soulignent que le locataire de l'Elysée détiendra désormais un mandat d'une durée inférieure à celui des maires -six ans- ou des sénateurs -neuf ans-. Ils estiment que sa dimension d'arbitre sera largement amputée. La majorité des juristes plaide à l'inverse la thèse d'un renforcement des pouvoirs du Président. L'alignement de son mandat sur celui des députés, la concomitance des scrutins présidentiel et législatif contraindra en effet mécaniquement le chef de l'exécutif à transformer la majorité parlementaire en majorité présidentielle.

Le quinquennat supprimera-t-il les cohabitations ?

Avec la modernité, la suppression du risque de cohabitation s'impose comme l'un des arguments phares des promoteurs du mandat de cinq ans. Il est d'ailleurs paradoxal que les Français, qui plébiscitent la cohabitation, approuvent massivement une réforme censée l'interdire. Dans la réalité, le quinquennat ne constitue pas une garantie absolue contre l'hypothèse de cohabitation. Il se borne à en limiter le risque. La proximité de l'élection du chef de l'Etat et de celle des députés implique en effet, selon toute logique, un choix identique des Français. Mais logique ne rime pas toujours avec politique et une cohabitation, dans un contexte nouveau, provoquée par un affrontement de deux majorités élues au même moment, pourrait être beaucoup plus tendue que les précédentes.

Porte ouverte à d'autres évolutions ?

La volonté du Président de boucler rapidement la réforme en imposant un quinquennat "sec", sans autre réflexion sur les institutions, a bloqué les ambitions rénovatrices de nombreux élus. Les communistes souhaitaient ainsi une réduction de tous les mandats. Les Verts prônaient la proportionnelle et les socialistes se disent partisans, au lendemain de la présidentielle de 2002, d'une modernisation plus vaste de la vie publique. A droite, certains gaullistes s'affirment favorables à une réforme plus radicale avec l'instauration d'un régime présidentiel et les giscardiens souhaitent que le mandat du Président ne puisse être renouvelé qu'une fois. L'instauration du quinquennat devrait dans l'avenir impliquer d'autres réflexions. Celles-ci pourraient porter sur les places respectives du chef de l'Etat et du Premier ministre ou bien encore sur les prérogatives du parlement.

Le quinquennat doit-il être approuvé par référendum ?

Cette hypothèse a la faveur de Jacques Chirac et correspond à la logique du lien entre les Français et leur Président, instauré par l'élection de ce dernier au suffrage universel. Elle n'en demeure pas moins risquée. Un référendum est en France toujours lourd d'incertitudes; les derniers se sont souvent montrés décevants pour leurs promoteurs, pour cause de résultat serré ou de faible participation. Dans ce cas précis, la faible implication personnelle du chef de l'Etat dans cette évolution majeure contribue à rendre la mobilisation des électeurs bien aléatoire. "Si les Français votent oui, c'est bien ; s'ils votent non, c'est bien", a pu sans sourire lancer le chef de l'Etat. Difficile de provoquer un engouement autour d'un tel mot d'ordre. Les partisans du maintien du septennat risquent fort de se montrer plus percutants. Pour autant, la réforme sera ratifiée parce qu'elle correspond à une aspiration des Français, mais une abstention massive serait préjudiciable à ses auteurs.

La campagne donnera-t-elle des couleurs aux adversaires de la réforme ?

Ils en font le pari, surtout Charles Pasqua qui a tenu son premier meeting contre le quinquennat avec une seule ambition : "on va leur en faire baver". Pour le président du Rassemblement pour la France, l'occasion est trop belle de se refaire une santé, de transcender la querelle majeure qui l'oppose à son complice d'hier et désormais ennemi de l'intérieur, Philippe de Villiers. Leur mouvement ne bruissait que de rumeurs de complots et semblait promis à un proche éclatement. Un référendum sur le quinquennat leur redonne une bouffée d'oxygène dans la perspective d'autres échéances. Jacques Chirac a pris la mesure de ce risque et son accélération du calendrier de la réforme vise aussi à empêcher les opposants de la réforme de s'organiser.

Qui profitera du quinquennat ?


Jacques Chirac et Lionel Jospin partagent la paternité de la réforme. Le second n'entend pas se laisser déposséder de l'antériorité de l'idée et de la volonté de la faire aboutir. Dans la campagne présidentielle à venir, il inscrira le quinquennat dans un souci plus global de modernisation de la vie politique. Il mettra en exergue quelques réalisations comme la parité ou le cumul des mandats et certaines ambitions, comme la réforme du mode de scrutin des sénateurs. Jacques Chirac s'est rallié au quinquennat pour des raisons évidentes de circonstance, afin que son âge - 69 ans en 2002 - ne constitue pas un handicap pour un second mandat. Il a l'espoir que les Français sauront gré à un Président hostile à la réforme de l'avoir réalisée, alors que ses prédécesseurs, qui y étaient favorables, ne l'avaient jamais fait. Pour autant, le quinquennat devrait avoir peu d'incidences sur le résultat final. Les questions institutionnelles ont déjà défait un Président, le fondateur de la Ve République. Elles n'ont jamais dominé une présidentielle.



par Geneviève  Goetzinger

Article publié le 15/06/2000