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Zimbabwe

Mugabe seul contre tous

Vingt ans après avoir arraché l'indépendance, d'abord avec les armes puis par des bulletins de vote, le Zimbabwe de Robert Mugabe se retrouve actuellement en ligne de mire de la plupart des pays occidentaux, à commencer par l'ancienne puissance coloniale, à laquelle le président réserve presque quotidiennement les flèches les plus pointues. Tout dernièrement, après avoir favorisé l'occupation de quelque 1.500 fermes (sur 4.500) détenues par des Blancs pour la plupart d'origine britannique, Robert Mugabe a soulevé une autre question délicate: celle des mines d'or, qu'il compte aussi "africaniser" ou "indigéniser", dès que son gouvernement aura achevé la redistribution agraire. Des mines détenues par des intérêts étrangers, le plus souvent britanniques.

Londres a aussitôt répliqué, en ironisant sur ces "menaces" qui "se retourneraient contre son auteur"; car "il s'agit surtout de gesticulation pré-électorale", selon Peter Hain, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. "Cela ne peut pas apporter du travail, de la richesse et des opportunités aux Zimbabwéens, a-t-il ajouté. Le Zimbabwe souffre actuellement d'un manque cruel de devises étrangères et d'un dollar zimbabwéen faible". Des arguments que le gouvernement de Tony Blair ne cesse de mettre en avant, dans le but évident d'isoler encore plus le régime autoritaire de Mugabe et de favoriser l'arrivée au pouvoir de son principal concurrent: Morgan Tsvangirai. Ces critiques poussent le clan du président et Mugabe lui-même a déclarer régulièrement que Londres a des visées néo-colonialistes sur l'ancienne Rhodésie blanche, qu'elle rêve de rétablir sous d'autres formes, comme du temps de l'évêque Muzorewa, vers la fin des années 70.

Autre sujet de friction entre Londres et Harare, la question du droit de vote de quelque 86.000 Zimbabwéens d'origine britannique. La plupart d'entre eux ont gardé la double nationalité britannique et zimbabwéenne, en dépit de la loi de 1984 qui l'interdisait et qui accordait un délai d'un an pour renoncer à leur nationalité d'origine. En mai dernier les autorités zimbabwéennes ont en vain demandé à ces personnes de remettre leur passeport zimbabwéen, car elles ne s'étaient pas conformées à la loi en vigueur. Finalement, la Haute Cour du Zimbabwe, saisie de cette affaire par le principal parti d'opposition, a refusé de se prononcer, ce qui devrait leur permettre de participer au scrutin. Mais cette nouvelle affaire est loin d'être close. De plus elle entretient un climat de suspicion entre les différentes communautés, dans une société post-coloniale où l'économie demeure solidement entre les mains des étrangers.

A la veille du scrutin Mugabe a accusé les pays développés de se comporter en "gangsters", pour protéger leurs intérêts. "Nous devons trouver des moyens pour résister à de tels actes; un message quotidien est envoyé au monde pour nous dénigrer" a-t-il ajouté, avant d'accuser une fois de plus Londres de mobiliser les donateurs internationaux afin qu'ils retirent leur aide au Zimbabwe, en raison de sa politique de redistribution des terres. En réalité le Zimbabwe se retrouve désormais de facto au ban de l'aide des institutions internationales, après une suspension des crédits pour retard de paiement.

Il en va autrement sur la scène continentale africaine, où le président Mugabe peut compter sur le soutien de certains leaders africains, qui comme lui font souvent appel aux attaques contre les pays occidentaux pour conforter leur position sur le plan national et couper l'herbe sous les pieds d'opposants devenus partisans farouches du libéralisme. Même des pays qui n'entretiennent pas de bonnes relations avec Harare sont parfois obligés d'afficher ce soutien. C'est le cas du tout puissant voisin sud-africain, en compétition permanente avec le Zimbabwe pour le leadership de l'Afrique australe. A la veille du scrutin le président Thabo Mbeki a certes appelé à des élections "libres et non truquées" au Zimbabwe, mais il a refusé de préciser si ce scrutin peut être considéré comme "fiable". En pleine crise autour de la question de l'occupation des fermes des Blancs, tous les présidents de la région avaient aussi réaffirmé leur soutien à Mugabe, lors d'un sommet régional à Victoria Falls, et ce d'autant plus qu'ils craignent qu'une telle crise ne fasse tâche d'huile chez eux.

Cependant, la décision de Mugabe de s'engager militairement dans la guerre du Congo démocratique, en dépêchant un contingent de 11.000 soldats au secours de Laurent-Désiré Kabila, a aussitôt placé le Zimbabwe dans l'un des camps opposés. Ce qui l'a immédiatement coupé des pays qui soutiennent les rebelles congolais.



par Christophe  Champin

Article publié le 23/06/2000