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Guinée

Biro Dialloß: portrait d'un jeune opposant de 75 ans<br>

Après ses déclarations en faveur d'une libération de l'opposant Alpha Condé, Boubacar Biro Diallo, le président de l'Assemblée nationale guinéenne s'est vu confisquer son passeport, jeudi soir, à son retour d'un séjour à Paris. Mais les autorités n'ont pas tardé à remettre ses documents de voyage à ce personnage atypique, fondateur du parti au pouvoir et néanmoins critique acerbe de ses excès. Portrait.
Qu'est-ce qui pousse un cacique du parti au pouvoir dans l'un des pays les plus rigides d'Afrique noire à prendre la défense du plus farouche opposant au régime en place? Depuis l'arrestation de l'opposant Alpha Condé, au lendemain de l'élection présidentielle du 14 décembre 1998, Boubacar Biro Diallo, président de l'Assemblée nationale guinéenne, est devenu l'un de ses plus actifs défenseurs. Prenant très au sérieux sa fonction, il n'a cessé de dénoncer l'arrestation du député et leader du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), au nom de la violation de l'immunité parlementaire. «Je n'ai pas de mérite, j'ai fait mon devoir. Selon la constitution guinéenne, aucun député ne peut être arrêté ou détenu sauf en cas de flagrant délit qui n'a pas été établi en ce qui concerne Alpha Condé», répond-il avec une simplicité déconcertante.
Pour un homme qui fut, en 1992, le principal fondateur du PUP (Parti de l'unité et du progrès), parti de l'actuel président Lansana Conté, la démarche a de quoi étonner. Le paradoxe n'est qu'apparent. En accédant au perchoir, en 1995, cet ancien enseignant et vieux routier de la politique guinéenne a choisi de jouer le jeu démocratique, dans un pays encore prisonnier des vieux réflexes autoritaires de l'époque Sékou Touré. Mais il a surtout opté pour une liberté de ton peu commune pour un responsable du parti dirigeant, face à un «général-président» à la rigidité légendaire.

En octobre 1998, Biro Diallo sort de sa réserve pour dénoncer, dans un discours fracassant, les tortures dont ont été victimes des militaires responsables d'une mutinerie qui fit vaciller le régime en février 1996. Le président de l'Assemblée nationale accuse son propre parti d'«être pour la violation des droits de l'homme» et «pour la torture», et dénonce l'attitude du pouvoir à l'encontre de plusieurs députés de l'opposition. A quelques semaines d'une élection présidentielle contestée avant même d'avoir eu lieu, la sortie fait plutôt mauvais effet. Suspendu du bureau politique du mouvement, il ne conserve son poste que sur intervention du président Lansana Conté en personne. Ce dernier n'a pas oublié les services rendus par ce Peuhl, originaire de Mamou, dans le Fouta Djallon, qui permit au PUP de faire une percée, en 1993, dans une région acquise à l'opposition. En lui permettant de conserver son poste, le régime guinéen peut aussi donner des gages à ceux qui critiquent les lenteurs de la démocratisation.

Mais en prenant position pour Alpha Condé, ennemi juré de Lansana Conté, quelques semaines plus tard, Biro Diallo a franchi le point de non retour. Dans un discours prononcé au Palais du peuple de Conakry, le 9 septembre dernier, le président guinéen a clairement exprimé son exaspération. «Il a dit qu'il me déclare la guerre», assure Biro Diallo. A son retour d'un séjour en France, le 14 septembre, ce ne sont pourtant pas les sbires du régime Conté, mais des militants et des députés de l'opposition qui l'attendaient à l'aéroport. Quant à son passeport, qui lui avait été confisqué dès son arrivée, il lui a été rendu le lendemain dans la matinée. Et à ceux qui lui demandent s'il craint pour sa sécurité, ce vétéran de 75 ans répond qu'à son âge «il est beaucoup plus près de la fin que du début» et parle calmement de la retraite qu'il compte prendre, d'ici deux mois, date de la fin de la législature, dans son village natal de Kourou.



par Christophe  Champin

Article publié le 15/09/2000