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Monnaie unique européenne

Jean-Jacques Rosa :<br><br> «<i>A terme, la France ou d'autres pays voudront sortir de l'euro</i>»

Jean-Jacques Rosa est professeur d'économie à Science Po. Adversaire de la monnaie unique, auteur de L'erreur européenne (Grasset, 1998), il explique pourquoi, selon lui, l'euro n'est pas viable à long terme.
RFI: La chute de l'euro a-t-elle des causes qui tiennent à sa nature même de monnaie unique?

Jean-Jacques Rosa: Il n'y a pas de précédent à la création d'une monnaie unique sans un Etat qui y soit attaché. Le premier problème qui se pose, c'est qu'une politique monétaire unique pour des économies dissemblables fait qu'on n'a jamais la bonne politique monétaire pour tout le monde en même temps. Et donc, cela implique qu'il faille aider les économies qui subissent la récession du fait d'une politique monétaire non adaptée, l'aide devant venir des pays qui sont en pleine activité. Mais ce système de transfert fiscaux n'existe pas en Europe. Alors qu'il existe aux Etats-Unis, à travers le budget et les impôts fédéraux. Conclusion: faute d'un gouvernement unique, il risque d'y avoir des tensions politiques contradictoires entre les pays de la zone monétaire unique. C'est ce que l'on voit aujourd'hui. L'Espagne, l'Irlande, le Portugal sont en pleine expansion et ont quelques tensions inflationnistes, donc il faudrait pour eux des taux d'intérêt plus élevés et un euro plus fort. Au contraire, la France et l'Allemagne ont besoin d'accélérer encore leur expansion et de réduire leur chômage, donc l'euro faible leur convient mieux.

Deuxième problème: la valeur d'une monnaie de confiance, c'est finalement la capacité fiscale de l'Etat qui la gère. Voilà la garantie. Car une monnaie, ce n'est rien d'autre qu'une créance sur un Etat. Et donc la question est: cet Etat peut-il être solvable, avec les recettes, essentiellement fiscales, qu'il obtient? Or, derrière l'euro il n'y a pas un gouvernement avec une capacité fiscale, il y a onze gouvernements qui mènent leur politique fiscale comme ils l'entendent. Donc on peut se demander si le jugement des opérateurs financiers n'est pas que cette monnaie est très mal garantie. Si l'euro devait continuer sa plongée, cela révélerait un phénomène préoccupant: l'absence de confiance dans la valeur future de l'euro.

RFI: L'Europe subit en ce moment une panne politique. C'est un facteur aggravant?

JJR: C'est une réelle possibilité. Peut-on vraiment gérer une monnaie à onze? Je sais bien que c'est la banque centrale européenne, en principe indépendante des gouvernements, qui gère la monnaie. Mais derrière, il faut bien qu'il y ait une volonté politique. Or, si on ne progresse pas dans la voie d'une union politique fédérale en Europe, il sera difficile un jour ou l'autre d'éviter des difficultés sérieuses dans la gestion de l'euro, ne serait-ce que parce qu'il arrivera un moment où les intérêts économiques de l'Allemagne et de la France ne seront plus en harmonie. Il pourrait en effet y avoir besoin de politiques conjoncturelles différentes entres les deux pays. Cela fait beaucoup d'incertitudes sur l'avenir de l'euro et, bien sûr, les opérateurs financiers se posent ces questions.

RFI: Et les consommateurs européens? Dans un an et demi, ils auront l'euro dans leur portefeuille. Ne vont-ils pas devenir réticents si la baisse se poursuit?

JJR: Il y aura probablement des mécontentements lors de la suppression du franc et du passage intégral à l'euro. Mais surtout, ce qui me préoccupe davantage, c'est la chose suivante: il ne sert strictement à rien de supprimer le franc. Ca y est, nous sommes déjà dans la monnaie unique! Les taux de change sont définitivement fixes entre les anciennes monnaies nationales, la politique monétaire est unique, le taux d'intérêt de la Banque central européenne est unique. A quoi ça sert de supprimer le franc? Absolument à rien. Sinon à provoquer un choc dans l'opinion. On verra de quelle nature sera ce choc. Les gouvernements devraient y réfléchir: il est parfaitement concevable d'avoir une monnaie unique en Europe (que nous serons un certain nombre à continuer de critiquer) et de conserver le franc, avec les habitudes de paiement françaises. Et à ce moment là, il n'y aurait aucun traumatisme pour l'opinion. C'est même une option sur l'avenir qu'il nous faudrait conserver. Je continue à penser qu'un jour ou l'autre, la France ou d'autres pays voudront sortir de l'euro pour les raisons que j'évoquais.



par Propos recueillis par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 08/09/2000