Guinée
Aux origines de la crise
Après les attaques menées depuis plusieurs semaines sur son territoire, la Guinée accuse le Liberia, le Burkina Faso et le rebelles sierra-léonais du RUF, alliés à des militaires mutins de vouloir déstabiliser son territoire. Mais à travers cette crise Conakry est surtout en train de payer ses choix politiques et diplomatiques passés.
Depuis l'attaque meurtrière qui a fait une cinquantaine de morts le 1er septembre dernier en Guinée, dans la région de Macenta, frontalière du Liberia, les incidents armés se sont multipliées dans cette zone comme dans celles proches de la Sierra Leone. Pour les autorités guinéennes les coupables sont tout désignés: Monrovia, le Burkina Faso et des rebelles sierra-léonais se seraient en fait alliés à d'anciens militaires mutins guinéens et des opposants pour déstabiliser le pouvoir de Lansana Conté.
Dans une région qui a connu des conflits particulièrement meurtriers ces quinze dernières années, cette soudaine hausse de la tension entre la Guinée et ses voisins inquiète. Le président Malien Alpha Oumar Konaré a fait la navette entre Conakry et Monrovia, la semaine dernière, et une réunion des ministres de la défense des pays membres de «l'Union du fleuve Mano» - qui réuni la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone û s'est tenue à Bamako samedi 16 septembre pour tenter de calmer le jeu. Dès le lendemain, pourtant, Macenta, une ville située à 30 km du Liberia a connu une nouvelle attaque «rebelle» au cours de laquelle un employé du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a été tué et un autre enlevé.
Contre-coup
Ce nouvel incident meurtrier a montré à ceux qui en doutaient encore que la situation dans cette zone instable, où les rapines sont fréquentes, est plus sérieuse que par le passé. Sauf que pour beaucoup d'observateurs, les causes des événements de ces dernières semaines sont plus complexes que ne veut bien le dire Conakry.«C'est la guerre qu'on est en train des transporter dans notre pays !», affirme le ministre guinéen de la Sécurité, Moussa Solano, qui a demandé à la communauté internationale de condamner «l'agression» dont son pays s'estime victime. En fait, la Guinée subit surtout le contre coup de ses choix politiques passés, notamment durant les guerres qui ont ensanglanté le Libéria et la Sierra Leone. En 1990, Charles Taylor, actuel dirigeant du Libéria, lance une offensive avec son mouvement armé, le Front national patriotique du Libéria (NPLF), contre le régime du président Samuel Doe. Taylor est bientôt aux portes de Monrovia, la capitale, mais il est stoppé par la force ouest-africaine (ECOMOG). Dominée par les troupes nigérianes, cette dernière est intervenue in extremis, en grande partie sur l'insistance du président Lansana Conté.
Par la suite, la Guinée va choisir de soutenir et d'armer l'ULIMO, un mouvement armé favorable à Doe, puis, après une scission interne, l'ULIMO-K, faction dirigée par Alhaji Kromah, un chef de guerre dont les méthodes n'ont rien à envier à celles de Charles Taylor. En 1997, ce dernier fini par remporter une double victoire: tout en ayant été à l'origine d'une des plus monstrueuses guerres civiles qu'ait connu le continent africain, il se paye le luxe de parvenir au pouvoir par les urnes. Alhaji Kromah lui a fui le pays, abandonnant derrière lui ses combattants qui, du même coup, ont cessé d'être soutenus par Conakry. Une grande partie n'a pas désarmé et continue à proposer ses «services» au plus offrant, notamment au RUF sierra-léonais. Mais elle multiplie aussi les incursions en territoire guinéen pour se «servir» chez son ancien allié, avec d'autant plus de facilité que la fermeture fréquente de la frontière entre le Libéria et la Guinée est sans effet, dans une zone de non-droit où les armes circulent en abondance.
En Guinée, les regards se tournent également vers les rebelles du RUF (Front révolutionnaire uni) sierra-léonais. Conakry a soutenu le président élu Tejan Kabbah dans sa lutte contre le mouvement du caporal Foday Sankoh et l'a même accueilli alors qu'il venait d'être écarté par un coup d'Etat militaire en 1997. D'où l'hostilité des hommes du RUF à l'égard régime guinéen.
Si les attaques de ces dernières semaines sont en partie attribuées à ces rebelles, le gouvernement, comme l'opposition guinéenne s'accordent au moins sur le fait qu'elles sont aussi le fait de guinéens. «Il y a des guinéens, notamment des déserteurs de l'armée qui ont fui après le coup d'Etat de 1984 [qui a porté Lansana Conté au pouvoir], mais aussi des officiers et sous officiers qui ont fui après la répression d'une mutinerie de février 1996», affirme Bâ Mamadou, l'un des principaux leaders de l'opposition. La plupart d'entre eux ont trouvé refuge au Liberia ou dans les régions frontalières, que l'armée guinéenne a du mal à contrôler, et auraient recruté d'anciens membres de l'ULIMO, qui ont également des comptes à régler avec le régime guinéen. Ce qui fait dire à l'opposant qu'il s'agit «d'une rébellion militaire, et non civile», contrairement aux allégations du pouvoir qui accusait le leader du RPG Alpha Condé, toujours emprisonné, d'avoir partie liée avec les «rebelles».
Ce contexte explique largement l'inefficacité des tentatives de médiation menées jusqu'ici qui ont surtout visé à éviter une surenchère entre Conakry et Monrovia, alors que Charles Taylor, bien qu'hostile à Lansana Conté, a lui même peu de prise sur les territoires proches de la Guinée. A en croire plusieurs observateurs attentifs de la situation en Guinée, le régime est en tous cas confronté à une déstabilisation armée sans précédent depuis la mutinerie de février 1996, qui avait fait vaciller le président Conté. Et s'il a obtenu, le 16 septembre, l'engagement de la CEDEAO, mais à une date non précisée, de déployer une équipe d'observateurs militaires dans les zones frontalières, il aura du mal à convaincre les chefs d'Etat de la région de faire plus. Peu apprécié par ces pairs, dont certains n'ont pas hésité à soutenir la cause d'Alpha Condé, le «général-président», mal réélu en décembre 1998, aura certainement moins de facilité que son homologue sierra-léonais Tejan Kabbah à obtenir une aide militaire extérieure.
Dans une région qui a connu des conflits particulièrement meurtriers ces quinze dernières années, cette soudaine hausse de la tension entre la Guinée et ses voisins inquiète. Le président Malien Alpha Oumar Konaré a fait la navette entre Conakry et Monrovia, la semaine dernière, et une réunion des ministres de la défense des pays membres de «l'Union du fleuve Mano» - qui réuni la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone û s'est tenue à Bamako samedi 16 septembre pour tenter de calmer le jeu. Dès le lendemain, pourtant, Macenta, une ville située à 30 km du Liberia a connu une nouvelle attaque «rebelle» au cours de laquelle un employé du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a été tué et un autre enlevé.
Contre-coup
Ce nouvel incident meurtrier a montré à ceux qui en doutaient encore que la situation dans cette zone instable, où les rapines sont fréquentes, est plus sérieuse que par le passé. Sauf que pour beaucoup d'observateurs, les causes des événements de ces dernières semaines sont plus complexes que ne veut bien le dire Conakry.«C'est la guerre qu'on est en train des transporter dans notre pays !», affirme le ministre guinéen de la Sécurité, Moussa Solano, qui a demandé à la communauté internationale de condamner «l'agression» dont son pays s'estime victime. En fait, la Guinée subit surtout le contre coup de ses choix politiques passés, notamment durant les guerres qui ont ensanglanté le Libéria et la Sierra Leone. En 1990, Charles Taylor, actuel dirigeant du Libéria, lance une offensive avec son mouvement armé, le Front national patriotique du Libéria (NPLF), contre le régime du président Samuel Doe. Taylor est bientôt aux portes de Monrovia, la capitale, mais il est stoppé par la force ouest-africaine (ECOMOG). Dominée par les troupes nigérianes, cette dernière est intervenue in extremis, en grande partie sur l'insistance du président Lansana Conté.
Par la suite, la Guinée va choisir de soutenir et d'armer l'ULIMO, un mouvement armé favorable à Doe, puis, après une scission interne, l'ULIMO-K, faction dirigée par Alhaji Kromah, un chef de guerre dont les méthodes n'ont rien à envier à celles de Charles Taylor. En 1997, ce dernier fini par remporter une double victoire: tout en ayant été à l'origine d'une des plus monstrueuses guerres civiles qu'ait connu le continent africain, il se paye le luxe de parvenir au pouvoir par les urnes. Alhaji Kromah lui a fui le pays, abandonnant derrière lui ses combattants qui, du même coup, ont cessé d'être soutenus par Conakry. Une grande partie n'a pas désarmé et continue à proposer ses «services» au plus offrant, notamment au RUF sierra-léonais. Mais elle multiplie aussi les incursions en territoire guinéen pour se «servir» chez son ancien allié, avec d'autant plus de facilité que la fermeture fréquente de la frontière entre le Libéria et la Guinée est sans effet, dans une zone de non-droit où les armes circulent en abondance.
En Guinée, les regards se tournent également vers les rebelles du RUF (Front révolutionnaire uni) sierra-léonais. Conakry a soutenu le président élu Tejan Kabbah dans sa lutte contre le mouvement du caporal Foday Sankoh et l'a même accueilli alors qu'il venait d'être écarté par un coup d'Etat militaire en 1997. D'où l'hostilité des hommes du RUF à l'égard régime guinéen.
Si les attaques de ces dernières semaines sont en partie attribuées à ces rebelles, le gouvernement, comme l'opposition guinéenne s'accordent au moins sur le fait qu'elles sont aussi le fait de guinéens. «Il y a des guinéens, notamment des déserteurs de l'armée qui ont fui après le coup d'Etat de 1984 [qui a porté Lansana Conté au pouvoir], mais aussi des officiers et sous officiers qui ont fui après la répression d'une mutinerie de février 1996», affirme Bâ Mamadou, l'un des principaux leaders de l'opposition. La plupart d'entre eux ont trouvé refuge au Liberia ou dans les régions frontalières, que l'armée guinéenne a du mal à contrôler, et auraient recruté d'anciens membres de l'ULIMO, qui ont également des comptes à régler avec le régime guinéen. Ce qui fait dire à l'opposant qu'il s'agit «d'une rébellion militaire, et non civile», contrairement aux allégations du pouvoir qui accusait le leader du RPG Alpha Condé, toujours emprisonné, d'avoir partie liée avec les «rebelles».
Ce contexte explique largement l'inefficacité des tentatives de médiation menées jusqu'ici qui ont surtout visé à éviter une surenchère entre Conakry et Monrovia, alors que Charles Taylor, bien qu'hostile à Lansana Conté, a lui même peu de prise sur les territoires proches de la Guinée. A en croire plusieurs observateurs attentifs de la situation en Guinée, le régime est en tous cas confronté à une déstabilisation armée sans précédent depuis la mutinerie de février 1996, qui avait fait vaciller le président Conté. Et s'il a obtenu, le 16 septembre, l'engagement de la CEDEAO, mais à une date non précisée, de déployer une équipe d'observateurs militaires dans les zones frontalières, il aura du mal à convaincre les chefs d'Etat de la région de faire plus. Peu apprécié par ces pairs, dont certains n'ont pas hésité à soutenir la cause d'Alpha Condé, le «général-président», mal réélu en décembre 1998, aura certainement moins de facilité que son homologue sierra-léonais Tejan Kabbah à obtenir une aide militaire extérieure.
par Christophe Champin
Article publié le 19/09/2000