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Serbie

Le charivari de Belgrade

Il est midi, un cortège d'étudiants se dirige vers la Place de la République, lieu traditionnel des rassemblements contestataires à Belgrade. Sifflets, quelques slogans, quelques chansons. Les manifestants ne sont que quelques milliers, mais sur les trottoirs, des passants ne tardent pas à rejoindre le cortège. Dejan, tient par la main son petit garçon de six ans. Il prend en silence le journal gratuit Serbie libre que distribuent les étudiants, et sort de sa poche un sifflet pour donner sa contribution au charivari. « Je ne suis pas étudiant, je suis employé des PTT, mais qu'est-ce que cela change ? C'est toute la Serbie qui est en mouvement, et les postiers vont eux aussi se mettre en grève ». Un peu plus tard dans la journée, des experts du groupe G 17 haranguent la foule sur cette même place de la République. A quelques encablures de là, des hauts-parleurs diffusent de la musique rock depuis le balcon d'un parti d'opposition. Un peu plus loin, un cortège de médecins et de personnels de santé en grève remontent depuis la place Slavija. Les automobilistes et les chauffeurs de taxi bloqués par la manifestation saluent par un concert de coups de klaxon.

Pour se tenir au courant des dernières nouvelles, il suffit de remonter depuis la place de la République vers le boulevard de Terazije, les deux épicentres de la vie belgradoise. Tracts et journaux s'échangent à tous les coins de rue, et l'on commente les dernières nouvelles. Mercredi, il n'était question que de la fameuse disquette qui contiendrait les preuves de la fraude électorale organisée par le régime. Les plus savants en informatique donnent des cours aux terrasses des cafés. A Belgrade, la contestation a avant tout l'air d'une immense kermesse. Pas un policier en tenue n'est visible, mais des hommes visiblement peu habitués aux habits civils se promènent deux par deux dans la foule. « Le régime sait bien qu'il ne peut plus arrêter le mouvement par la force. L'Armée ne le soutient pas et la police n'est pas prête à tirer sur le peuple. Si le sang coulait, Milosevic tomberait le lendemain », pronostique Milan, un journaliste du quotidien d'opposition Danas.

La répression a pourtant déjà commencé en province, où le mouvement semble sensiblement plus fort que dans la capitale serbe. Les manifestants sont en effet plus nombreux à Novi Sad, Cacak ou Kragujevac qu'à Belgrade. « Les grandes villes de province sont devenus les véritables bastions de l'opposition depuis les élections municipales de 1996, explique Milan. Et là-bas, il existe encore une société civile, tandis que Belgrade est une ville épuisée, ravagée, qui a perdu l'essentiel de sa culture urbaine. La capitale croule sous le poids des réfugiés de Croatie, de Bosnie ou du Kosovo. En province, les gens ont encore à manger, ce qui n'est pas le cas de tout le monde à Belgrade. Quand les gens ont faim, ils ne sont pas prêts à manifester tous les jours pour la démocratie. Par contre, ils peuvent descendre tout d'un coup dans la rue, très violemment ». Les ouvriers des grandes entreprises d'Etat et les paysans û les couches sociales traditionnellement les plus attachées au régime de Slobodan Milosevic û ont majoritairement voté pour Vojislav Kostunica, et commencent à entrer en mouvement dans tout le pays. « En 1996, c'était le Belgrade instruit et cultivé qui était dans la rue. Aujourd'hui, toute la population soutient le mouvement, même si beaucoup de gens restent encore chez eux », ajoute Milan, qui conclut : « objectivement, les jours de ce régime sont comptés, mais nous n'arrivons pas à y croire nous-mêmes ».



par A Belgrade, Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 05/10/2000