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Sécurité alimentaire

Les responsables britanniques <br>sous la critique

Après deux longues années d'attente, les familles des 85 victimes britanniques de la maladie de Creutzfeldt-Jakob étaient encore un peu sous le choc mais dans l'ensemble satisfaites et surtout soulagées de voir publiés au grand jour les noms et responsabilités des ministres qui ont géré la crise de la vache folle.
De notre correspondante à Londres

Le rapport rendu jeudi par Lord Phillips, le président de la commission d'enquête sur l'ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) est un document en 16 volumes lourd de conséquences pour l'administration britannique et le parti conservateur, dont les ministres étaient au pouvoir à l'époque de l'apparition de la maladie. L'impact de ce rapport a été d'autant plus fort que, la veille, les téléspectateurs britanniques ont pu voir un reportage éprouvant montrant l'agonie d'une jeune fille de 14 ans atteinte de la variante humaine de l'ESB, la maladie de Creutzfeldt-Jakob. On y découvre cette enfant allongée sur son lit, inerte sous l'effet des sédatifs et totalement inconsciente de ce qui se passe autour d 'elle. Tout au long du reportage sa mère raconte son calvaire. Zoé Jeffries a contracté la maladie en 1998, sans savoir tout de suite de quoi il s'agissait. Entre-temps Helen Jeffries a vu sa fille devenir extrêmement anxieuse, agressive, et surtout déprimée. Parallèlement son état physique s'est rapidement détérioré jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus marcher. Mais avant de recevoir les soins appropriés, sa mère a dû attendre un an et un rendez-vous chez un neurologue pour apprendre enfin que cette maladie n'était pas, comme le lui répétaient les psychologues consultés, une dépression. Helen Jeffries aura donc eu la maigre consolation de voir confondus ceux qui lui ont fait croire pendant toutes ces années qu'il n'y avait absolument aucun risque à manger du b£uf britannique.
Car l'un des principaux reproches du rapport est cette tentative constante de nier la réalité. Il révèle que les responsables de l'époque n'ont cessé d'induire en erreur la population sur la menace réelle de la maladie de la vache folle pour l'homme. L'ESB a été identifiée en 1986, mais ce n'est qu'en 1996, dix ans plus tard, que le lien avec la variante de Creutzfeldt-Jakob a été clairement confirmé par le gouvernement. Entre temps, en 1990, les scientifiques avaient fait l'effrayante découverte que la maladie pouvait passer la barrière des espèces, en diagnostiquant l'ESB chez un chat. Au même moment pourtant le ministre de l'Agriculture John Gummer se rendait tristement célèbre en essayant de faire avaler publiquement à sa petite fille de quatre ans un hamburger pour prouver que le b£uf britannique était sans danger.

Eviter la panique

Les ministres avaient donc avant tout la farouche volonté d'éviter un mouvement de panique dans le pays. Autre reproche, bien qu'une interdiction de commercialiser les abats ait été prise en 1989, les contrôles n'ont pas été suffisamment renforcés. Le rapport d'enquête met aussi en lumière le manque flagrant de communication, voire les rivalités entre les différents ministères et surtout un attentisme bureaucratique inacceptable face aux avertissements scientifiques.
Néanmoins, le rapport de Lord Phillips n'est finalement pas aussi sévère qu'on pouvait le supposer. S'il souligne la réponse tardive et l'incompétence de l'administration de l'époque, le document précise bien qu'il n'y a pas eu d'intention délibérée de mentir ou de protéger les intérêts des agriculteurs aux dépens des consommateurs. Et si les 25 officiels incriminés sont nommés chacun à leur tour, ils sont «collectivement» rendus responsables des erreurs commises. John Gummer notamment, échappe à de lourdes critiques. «Quiconque viendrait lire notre rapport en espérant y trouver des traîtres ou des boucs émissaires devrait repartir bien déçu», Lord Philips a donc voulu éviter de désigner des coupables. A ceux qui l'ont alors accusé de blanchir les responsables conservateurs, le président de la commission d'enquête a répliqué que le but de ce document n'était pas de mener une chasse aux sorcières, mais de démontrer les failles de toute une machine administrative. Il est probable que les anciens ministres et hauts fonctionnaires subissent dans le futur des sanctions, mais ce sera alors au sein même de leur ministère, et comme l'enquête n'apporte pas de preuve d'une faute individuelle et délibérée, ils ne passeront certainement jamais devant une cour de justice.
Restent les leçons à tirer de ce rapport. Le gouvernement actuel qui l'a commandé dit avoir déjà corrigé plusieurs erreurs, mais certains continuent à voir une contradiction dangereuse dans le simple fait de laisser le ministre qui défend les intérêts des agriculteurs gérer, en même temps, le dossier de la vache folle. De leur côté, face à ces révélations, les conservateurs ont commencé à faire leur mea culpa, notamment l'ancien Premier ministre John Major qui était à Dowding stress au plus fort de la crise. Des excuses bien tardives pour les familles des victimes qui attendent maintenant de recevoir l'aide promise par le gouvernement de Tony Blair.



par Muriel  Delcroix

Article publié le 27/10/2000