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Présidentielle 2000

L'horreur à Yopougon

Un charnier de 57 personnes a été découvert vendredi 27 octobre 2000. Les premiers témoignages des survivants mettent en cause des gendarmes.

De notre envoyé spécial en Côte d'Ivoire

A 10 kilomètres du centre d'Abidjan, dans les environs de la maison d'arrêt du quartier de Yopougon commence la forêt. A l'orée du bois, une petite route boueuse part sur la droite. Quelques gendarmes en armes sont postés au croisement. Le ciel est gris, l'air humide. Sur le côté, un grand panneau du service des eaux et forêts. Cette phrase de Félix Houphouët-Boigny y est inscrite : «La Côte d'Ivoire est trop belle, trop harmonieuse pour que la responsabilité soit prise de détruire aveuglément ses beautés naturelles et ses richesses les plus authentiques». Ironie macabre. A un peu plus de cinq cent mètres de là, l'horreur : des corps, une quarantaine, peut-être plus, sont entassés à l'écart du chemin. Certains sont criblés de balles. D'autres, les yeux encore ouverts, ont visiblement été violemment tabassés.

Trois membres du nouveau gouvernement ivoirien et plusieurs hauts responsables militaires et policiers observent ce monstrueux spectacle aux côtés du procureur de la république. «J'ai une réaction d'indignation et de tristesse. Je ne pensais pas que la barbarie pouvait atteindre un tel degré», réagit Emile Boga Doudou, ministre de l'Intérieur et numéro trois du parti de Laurent Gbagbo. «Le gouvernement mettra tout en oeuvre pour trouver les coupables», poursuit-il. Les coupables ? La plupart des témoins interrogés jurent qu'il s'agit de membres des forces de sécurité, probablement de la gendarmerie. D'après eux, les victimes, selon toute vraisemblance des membres du RDR, auraient été tuées jeudi 26 octobre 2000, durant les affrontements qui les ont opposé à des membres du FPI et à des habitants, en représailles à la mort d'un lieutenant de gendarmerie dans le quartier populaire d'Abobo. Certains corps auraient été emmenés là. D'autres, qui ne semblent pas avoir été transportés, seraient ceux de victimes tuées sur place.

«On a reçu l'ordre de les abattre». Un gendarme.

Interrogé sur ces premiers éléments, le ministre de la Défense, Moïse Lida Kouassi estime «difficile de pointer du doigt dans une direction». Mais il insiste : «Une enquête est déjà ouverte. Il faut qu'elle établisse les responsabilités de ces massacres et nous exigerons toute la rigueur de la loi, quels que soient les responsables».

Jusqu'où ce drame entachera-t-il la présidence de Laurent Gbagbo ? Le RDR jure en effet que les forces de sécurité ont délibérément pris parti pour le mouvement du nouveau chef de l'Etat lors des affrontements. Une version en partie confirmée sous couvert d'anonymat par un gendarme : «Tout le monde était contre le comportement des gens du RDR qui cassaient tout et dont certains étaient armés. Au milieu, il y avait la gendarmerie. On a reçu l'ordre de les abattre». De qui ? Mystère.

Emile-Boga Doudou refuse néanmoins de voir son parti, le Front populaire ivoirien, endosser les actes monstrueux qui ont été commis. «Je vous rappelle que le FPI a fait sortir plusieurs milliers de personnes mardi sans qu'il y ait la moindre casse. Tout le monde ne peut pas en dire autant», lance-t-il à l'adresse du parti d'Alassane Ouattara, dont les militants sont accusés par des habitants d'Abobo et de Yopougon d'avoir très violemment manifesté mercredi et jeudi.

Il reste que les représailles contre les ressortissants du nord ont été sanglantes. Le décompte des morts de ces deux derniers jours reste à établir, mais il devrait être beaucoup plus élevé que le chiffre d'une quarantaine de victimes avancé. Dans plusieurs quartiers d'Abidjan, la population vit dans la peur. Des habitants d'Abobo avouent leur inquiétude. «Nous veillons parfois toute la nuit de peur que quelque chose arrive», confie une femme qui craint une nouvelle attaque des sympathisants du RDR. Même inquiétude chez les ressortissants du nord, dont beaucoup ont préféré s'enfermer chez eux ou mettre leur famille en lieu sûr. En milieu de journée toutefois le calme semblait revenu.

par A Abidjan, Christophe  Champin

Article publié le 30/10/2000 Dernière mise à jour le 18/10/2010 à 13:12 TU