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Présidentielle 2000

Laurent Gbagbo prête serment, après une nouvelle journée d'affrontement

Laurent Gbagbo, opposant historique et candidat du FPI, a finalement prêté serment, jeudi 26 octobre 2000 dans la soirée, au palais présidentiel d'Abidjan, au terme d'une nouvelle journée chaotique. Dans la matinée des affrontements sanglants ont opposé des partisans du nouveau président élu à ceux du RDR d'Alassane Ouattara, dont la résidence a été attaquée.

De notre envoyé spécial en Côte d'Ivoire

La Côte d'Ivoire a évité de peu un basculement dans le chaos, jeudi 26 octobre. Dès le début de la matinée des affrontements entre partisans du Rassemblement des républicains (RDR) et du Front populaire ivoirien (FPI) ont pris une ampleur alarmante. Après le refus la veille par le leader du RDR Alassane Ouattara de reconnaître la victoire de Laurent Gbagbo, ses sympathisants, qui étaient déjà descendus dans la rue, ont poursuivi leurs manifestations dans plusieurs villes de Côte d'Ivoire. Mais elles se sont bientôt transformées en bataille rangée avec les partisans du FPI et les forces de sécurité. Une grande tension a régné jusqu'en fin d'après midi dans plusieurs quartiers. A Abobo des témoignages ont fait état de militants du RDR armés de machettes, de couteaux et de gourdin qui ont engagé une confrontation avec ceux du Front populaire ivoirien visiblement soutenus par les forces de l'ordre. Diverses sources évoquent de nombreux morts et blessés, dont les chiffres restent difficiles à vérifier.

Au même moment à Yopougon, l'un des fiefs de Laurent Gbagbo, des combats ont également eu lieu faisant officiellement six morts. Une mosquée au moins aurait été brûlée, alors qu'une véritable chasse aux ressortissants du nord aurait eu lieu dans cette partie d'Abidjan. A San Pedro, à Bouaké et dans plusieurs autres agglomérations du pays la situation était similaires et dès la mi-journée on parlait déjà de plusieurs dizaines de morts et centaines de blessés. De nombreux lieux de cultes ont par ailleurs été brûlés.

La résidence d'Alassane Ouattara attaquée

Un peu plus tôt dans la journée, des véhicules de gendarmerie faisaient mouvement vers la résidence d'Alassane Ouattara, près de la lagune d'Abidjan dans le quartier chic de Cocody, laissant penser qu'une arrestation du président du RDR était imminente. Plusieurs coups de feu ont été tirés sur la villa autour de 9 heures 15. Mais les forces de l'ordre se sont finalement repliées. Dans les heures qui ont suivi, une atmosphère de tension a régné dans les environs. Quelques dizaines de militants du RDR ainsi que des dozos, chasseurs traditionnels du nord du pays, se sont postés devant la maison, alors que des gendarmes se positionnaient en contrebas, dans le petit quartier populaire de Blokosso. Ces derniers n'ont toutefois pas donné l'assaut. Au même moment, Alassane Ouattara s'est réfugié dans la résidence de l'ambassadeur d'Allemagne, non loin de là. Quelques minutes plus tard, l'ancien numéro deux de la junte ivoirienne, le général Mathias Doué, arrivait dans une 4X4 aux vitres fumées. En fin de matinée on apprendra que des pourparlers sont en cours sous son égide et celle du diplomate allemand, offrant un premier espoir de solution dans un pays sous haute tension. En se rendant vers 13 heures à Blokosso, où des sympathisants du Front populaire ivoirien auraient engagé une chasse aux «étrangers », l'envoyé spécial de RFI Internet a vu quatre cadavres non-identifiés.

Dans l'après-midi, premiers signes d'un réel apaisement. Vers 15 heures un représentant du PDCI-RDA, a annoncé la reconnaissance de la victoire de Laurent Gbagbo et a condamné les violences. Un peu plus d'une heure plus tard, un communiqué commun du FPI et du RDR, lu à la télévision nationale, appelait au calme et à la fin d'affrontements dont tout le monde craignait qu'ils dégénèrent en guerre civile. Dans le même temps, différents témoins contactés dans les quartiers d'Abobo et Yopougon faisaient état d'un retour progressif au calme. De l'autre côté de la lagune, vers Treichville et Marcory, où l'atmosphère était également au retour au calme, la circulation était fluide et les rues dégagées.

Laurent Gbagbo prête serment

C'est dans cette ambiance que Laurent Gbagbo a été investi à la tête de l'Etat à la tombée de la nuit dans un palais présidentiel, théâtre la veille d'une violente confrontation entre les manifestants réclamant la chute du général Gueï, ancien chef de la junte militaire, et des membres de la garde présidentielle. Quelques heures à peine avant la prestation du leader du FPI, un cadavre calciné gisait encore devant les bâtiments officiels et la ville, entièrement vide, offrait encore un spectacle de champs de bataille.

Vers 18 heures pourtant, un grand nombre d'ambassadeurs, de chefs traditionnels, ainsi que d'anciens membres de la junte et du gouvernement sortant ont assisté à la cérémonie d'investiture aux côtés de tous les hauts responsables de l'armée, de la gendarmerie et de la police. Dans l'assemblée ont remarquait également la présence de représentants du PDCI, du patronat et deux des candidats malheureux à la magistrature suprême, Nicolas Dioulo et Mel Eg Théodore. A 18 h 30, les sept magistrats de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême ont très officiellement déclaré les résultats de l'élection du 22 octobre, près de 60% des suffrages exprimés pour Laurent Gbagbo contre environ 33% à Robert Gueï, avec un taux de participation d'à peine 37%. «Monsieur Laurent Gbagbo a reçu la majorité requise pour être élu au premier tour du scrutin, a déclaré le président de la Cour suprême. Il convient de proclamer monsieur Laurent Gbagbo président de la république de Côte d'Ivoire».

Costume sombre, chemise bleue, le nouveau chef de l'Etat ivoirien, a ensuite prêté serment sous les applaudissements. L'opposant historique s'est lancé dans un discours magistral où il a d'abord rendu hommage aux victimes des combats de rue de la veille. «Qu'ils trouvent dans nos coeurs une reconnaissance éternelle de la nation toute entière». «La Côte d'Ivoire ne ressemble pas à celle que j'ai connu durant mon enfance. Des bagarres, des morts pour rien», a-t-il ajouté. Puis il a réitéré sa volonté de respecter le calendrier élaboré pendant la transition militaire. Il a toutefois lancé deux phrases clairement adressées à Alassane Ouattara. «Nous ne réécrirons pas une autre constitution et nous ne ferons pas une autre élection présidentielle». Mais il a ajouté qu'il invitait les responsables du RDR à le rencontrer et s'est engagé à former un gouvernement d'ouverture, conformément à l'engagement pris devant les chefs d'Etats représentants l'OUA au mois d'août.

La Côte d'Ivoire a donc un nouveau président, mais dont la légitimité reste encore à asseoir. Le couvre-feu et l'état d'urgence ont été maintenu pour plusieurs jours encore. Sur le plan diplomatique, si la France a clairement reconnu le nouveau pouvoir, par la voix de son ambassadeur Francis Lot, d'autres pays restent encore réservé. Hier, l'ambassade des Etats-Unis, qui n'ont pas caché leur soutien à Alassane Ouattara ces derniers mois, avaient évacué une partie de leur personnel non-essentiel. De son côté, le président en exercice de l'Organisation de l'unité africaine, le chef de l'Etat togolais Eyadema, a appelé à la tenue de nouvelles élections. Même ton du côté de l'Afrique du Sud, dont les responsables semblent favorables à une solution similaire. Reste également à savoir si le RDR d'Alassane Ouattara, qui devait rencontrer Laurent Gabgbo vendredi matin, acceptera de participer au premier gouvernement dont la composition doit être annoncée dans la journée. Les affrontements sanglants de jeudi enfin laisseront des traces profondes dans un pays peu habitué à une telle violence communautaire. Dans son discours d'investiture, le nouveau chef de l'Etat s'est engagé à «refonder la Côte d'Ivoire». Sa tâche, dans un pays par ailleurs plongé dans une grave crise économique, sera immense.



par A Abidjan, Christophe  Champin

Article publié le 27/10/2000 Dernière mise à jour le 24/11/2010 à 17:26 TU