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Présidentielle 2000

La révolte contre le «pouvoir kaki»

Mardi 24 octobre, la colère a explosé immédiatement dans les rues d'Abidjan, à la suite de la tentative de «hold up électoral » de la part de Gueï. Récit d'une journée historique.
De notre envoyé spécial en Côte d'Ivoire

Quatorze heures, mardi 24 octobre, le ministre de l'Intérieur, le colonel Mouassi Grena, a annoncé la dissolution de la Commission nationale électorale ivoirienne et la victoire du général Gueï avec 52, 72%. Immédiatement après quelques partisans du chef de la junte fêtaient leur victoire et klaxonnaient dans les rues du plateau, le quartier des affaires de la capitale économique. Quelques minutes plus tôt, des militaires ont envahit les locaux de la CNE et forcé son président à les suivre pour se rendre à la présidence. Aux abords de la résidence de Robert Gueï, des soldats visiblement nerveux arrêtaient des véhicules. «Klaxonnez aussi, klaxonnez aussi !», a lancé l'un d'entre eux, agressif. Dans le centre ville, tous les commerces ont fermé en prévision d'éventuel troubles. Vers quinze heures le calme régnait pourtant encore dans la capitale, y compris aux alentours du quartier général de Laurent Gbagbo, dans le quartier des deux plateaux. Mais pour peu de temps encore...

Quelques minutes plus tard, le leader du Front populaire ivoirien, seul candidat de poids face aux général Gueï à l'élection du 22 octobre, a tenu une conférence de presse. «Nous avons fait une belle campagne et nous avons gagné», a-t-il lancé. Selon lui, les derniers pointages sur quatre cinquième des circonscriptions lui donnait 59,58% des voix contre près de 33% pour le général Gueï. « Dès à présent c'est moi le président de la Côte d'Ivoire», a-t-il annoncé sous les hurlements de joie de la foule. «Aujourd'hui, je demande à tous les militants de se dresser pour faire barrage à l'imposture. Je demande à nos militants dans tous les villes de Côte d'Ivoire et dans tous les quartiers de prendre la rue jusqu'à ce que les résultats soient reconnus.»

« Gueï est un voleur ! »

Quelques minutes plus tard, des dizaines de milliers de personnes ont commencé à investir les rues de la capitale. En sortant du quartier général de Laurent Gbagbo, plusieurs artères étaient déjà barrées par de petits groupes de manifestants. En se rapprochant du centre ville, on ne pouvait plus circuler sur le boulevard François Mitterrand dans le quartier de la Riviera, où des barrages de fortune empêchaient la cirtculation. Sur le bord de la route, un énorme panneau à la gloire du général Gueï était en train de brûler.

En se rapprochant du campus universitaire de Cocody, la foule des mécontents a grossi. Des jeunes, parmi lesquels des écoliers, mais aussi cet homme âgé qui s'est présenté comme un chef de grande entreprise retraité et a affirmé «être pour une république démocratique». Un peu plus loin, sur le boulevard Latrille ce sont des centaines, peut-être des milliers de personnes qu'on pouvait voir courir vers le Radio-Télévision ivoirienne, lieu hautement symbolique depuis sa prise par les mutins qui ont porté au pouvoir le général Gueï, le 24 décembre 1999.

Vers 16h20 un calme étrange régnait dans le quartier du Plateau où quelques rares véhicules circulaient encore. Soudain, non loin des locaux de la Commission nationale électorale (CNE), une clameur s'est élevée. Comme surgie de nulle part, une foule de jeunes venus du quartier populaire de Yopougon a envahi la rue. Torse nu pour la plupart, certains avaient le visage noirci au charbon ou marqué d'un «V» blanc de la victoire. D'autres tenaient des branches d'arbres, signe de deuil et de mécontentement, en hurlant littéralement leur colère. «Gueï est un voleur, Gueï est un voleur», s'exclamait l'un d'entre eux, la tête ceinte d'un morceau de tissu. «On veut l'enlever, on veut l'enlever», criait un autre. Pendant près d'une demi-heure, un flot ininterrompu de manifestants en colère s'est ainsi dirigé vers la présidence.

Ils ont bientôt été stoppés par la police qui tirait en l'air et lançait des grenades lacrymogènes. La panique s'est emparée des marcheurs qui ont rebroussé momentanément chemin. Mais c'était pour immédiatement reprendre leur charge face à des forces de l'ordre qui, selon des témoins, n'ont plus hésité à tirer. Devant l'hôtel où s'étaient réfugiés plusieurs journalistes, ont a pu apercevoir un blessé porté par ses amis . Vers 17h45, les policiers sont parvenu à repousser les manifestants. A la tombée de la nuit, le Plateau est entièrement vide, alors qu'à la radio nationale, le présentateur annonçait d'un ton laconique l'instauration de l'état d'urgence et du couvre feu de 21 heures à 6 heures du matin jusqu'à une date indéterminée..

Au cours de l'après-midi, des manifestations ont également eu lieu dans plusieurs villes du pays et communes de la capitale économique. Dans le grand quartier populaire d'Abobo, comme dans celui de Yopougon, où les forces de l'ordre étaient peu visibles, des sympathisants de Laurent Gbagbo ont également pris la rue et multiplié les barrages. Des cas de matraquages sévères par les forces de l'ordre ont été signalés dans le quartier huppé de Cocody.

Vers 19 heures, dans l'entourage de Laurent Gbagbo, on tirait déjà un premier bilan. «Selon nos informations on compte déjà des blessés, peut-être même des morts. Mais nous allons continuer les manifestations», a déclaré Emile Boga Doudou numéro deux du parti. Dans la soirée, le centre ville était plongé dans l'obscurité, alors que les protestations continuaient en d'autres lieux de la ville.

par A Abidjan, Christophe  Champin

Article publié le 25/10/2000 Dernière mise à jour le 19/10/2010 à 14:34 TU