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Présidentielle 2000

Une étrange journée d'attente

Les Ivoiriens ont attendu toute la journée de lundi l'annonce par la Commission nationale électorale (CNE) des résultats définitifs de l'élection présidentielle du 22 octobre. Pour finalement apprendre dans la soirée son report à ce mardi. Récit d'une étrange journée d'attente.
De notre envoyé spécial en Côte d'Ivoire

L'oreille collée au poste de radio, les Ivoiriens sont restés dans l'incertitude toute la journée de lundi. Après le déroulement du scrutin présidentiel sans incidents notables et dans des conditions jugées satisfaisantes par les observateurs de l'Union européenne, le dépouillement de bulletins avait commencé dès la fermeture des bureaux. Visiblement soucieuse d'éviter la contestation, la Commission nationale électorale n'a commencé à annoncer les résultats qu'au compte goutte lundi matin. Et en fin de matinée, la CNE n'avait donné les résultats que pour une quarantaine de circonscriptions sur un total d'environ 500. Comme la veille, la capitale économique ivoirienne est restée calme. D'autant que dimanche dans la soirée, le général Gueï avait décrété la journée fériée. Effectivement, les rues du centre ville étaient entièrement vides.

«Gbagbo a gagné dans toutes les casernes»

Dès midi toutefois au quartier général du Front populaire ivoirien (FPI), dans le quartier huppé des deux plateaux, régne une tout autre ambiance. Autour du bâtiment, où s'affaire le staff de campagne du candidat Gbagbo, des dizaines de ses partisans dansent et chantent en faisant le « V » de la victoire. Quelques minutes plus tôt, le leader du Front populaire ivoirien a annoncé que selon des calculs portant sur la moitié des circonscriptions, il l'emporte sur le général Gueï avec plus de 60% des voix. «Le candidat Gbagbo a gagné dans toutes les casernes, assure triomphal le leader du FPI. Pour l'instant, nous en sommes à donner les résultats partiels mais ils sont significatifs », ajoute-t-il. Son intervention provoque immédiatement un déchaînement d'enthousiasme. Sur un air de zouglou diffusé à plein tube, la foule massée dans le jardin de la grande villa laisse exploser sa joie. Dans le reste de la ville, la satisfaction se lit sur beaucoup de visages. Mais en fin de matinée, la Commission nationale électorale a tout simplement cessé de rendre publics les résultats, comme elle avait commencé à le faire toutes les heures à la radio et à la télévision.

A 14 heures, le camp du général Gueï, qui n'a encore fait aucune déclaration, sort de son mutisme. Au quartier général du «candidat du peuple», non loin de celui du FPI, l'atmosphère est plutôt morose après les premières estimations. Visiblement désireux de galvaniser leurs troupes, le porte-parole du général Gueï, Henri Damalan Sama, et le conseiller spécial du chef de la junte Balla Keïta tiennent une conférence de presse en forme de mise au point. Sans donner de chiffres, ils précisent qu'ils «ont préparé les bouteilles de champagne pour fêter la victoire».

Vers 15 heures, toujours pas de nouveaux résultats. La tension monte lorsque les forces de sécurité investissent l'enceinte de la CNE, intimant l'ordre à tous les journalistes de quitter les lieux. «Les militaires se sont mis en position, mais ils ne sont pas entrés dans les bureaux, nous confie l'un des représentant du FPI à la CNE. J'ose espérer qu'il ne s'agit pas d'une manoeuvre d'intimidation contre les membres de la commission.»

L'incident ne fait que renforcer les interrogations de plus en plus nombreuses sur l'issue du scrutin, alors que dans la rue les quelques rares passants ne cachent plus leur impatience. «Ils veulent truquer l'élection», lance l'un d'entre eux. Dans ce climat de suspicion, le président de la CNE, Honoré Guié, intervient dans l'après-midi, expliquant que le personnel lui-même a demandé de suspendre momentanément les travaux pour se reposer. Une explication qui ne convainc personne. D'autant qu'après avoir promis la reprise du décompte des voix pour 19 heures, la CNE n'annonce aucun autre résultats. Et c'est finalement trois heures plus tard, dans une Commission nationale électorale aux abords toujours étroitement surveillés par des policiers en armes, qu'un communiqué laconique indique que les résultats seront rendus publics mardi matin à 11 heures.

A Abidjan, on se perd en conjectures sur les raisons de ce report. Y a-t-il eu des pressions politiques ? Personne n'ose trop s'avancer. Dans l'entourage de Laurent Gbagbo, que les premières estimations officielles donnent en tête avec plus de 51% des voix contre 40,4% pour Robert Gueï, on reste serein. Mais on est conscient que les militants, comme de nombreux Ivoiriens, n'attendront pas éternellement les résultats d'une élection que le général Gueï avait qualifiée d'avance de transparente.

par A Abidjan, Christophe  Champin

Article publié le 24/10/2000 Dernière mise à jour le 19/10/2010 à 15:20 TU