Présidentielle 2000
Une journée d'insurrection populaire
Une vive tension régnait encore en Côte d'Ivoire mercredi soir, malgré l'acceptation par la junte militaire de la victoire de Laurent Gbagbo à l'élection présidentielle du 22 octobre. Les principaux chefs de corps de l'armée et de la police ivoirienne ont fait allégeance au leader du FPI. Mais le Rassemblement des républicains (RDR) d'Alassane Ouattara conteste déjà sa victoire. Récit d'une journée historique.
De notre envoyé spécial à Abidjan
Les Ivoiriens n'oublieront pas de sitôt la journée du 25 octobre 2000. En quelques heures, la situation politique qui semblait dans l'impasse s'est subitement débloquée après une succession d'événements qui ont débuté pendant la nuit. Autour de deux heures du matin, des coups de feu commencent à retentir dans la ville. On l'apprendra plus tard : il s'agit d'affrontements entre des éléments proches du général Gueï et des blindés de l'armée. Les versions divergent sur ce qui s'est réellement passé. Les assaillants sont-ils venus du camp militaire d'Akouédo, celui-là même où a débuté la mutinerie du 24 octobre 1999, pour attaquer celui de la « poudrière », un autre camp très favorable au chef de la junte ? Plusieurs sources l'affirment. L'homme fort de la garde présidentielle, l'adjudant Boka Yapi, considéré comme un dur, soutient en tous cas que l'assaut a été repoussé. Il aurait toutefois réclamé sans succès le renfort de la gendarmerie nationale, généralement considérée comme légaliste.
En tout début de matinée, le calme semble revenu dans la capitale économique ivoirienne. Le centre des affaires, le quartier du Plateau, est encore désert. Les commerces, qui étaient tous fermés le jour précédent, n'ont pas encore rouvert. Et pour cause : à en croire des témoins contactés dans plusieurs quartiers périphériques d'Abidjan, les sympathisants de Laurent Gbagbo et d'autres adversaires du général Gueï ont pris la rue, rendant impossible la circulation vers le centre ville. Dans le grand quartier populaire d'Abobo, la foule a commencé à envahir les rues un peu avant la levée du jour. Un peu plus tard, des témoignages font état de cortèges précédés de blindés de l'armée, ce qui confirme qu'une partie des militaires se désolidarise de la junte ivoirienne.
Dans le centre ville, après les affrontements de la veille entre manifestants et forces de l'ordre, c'est une nouvelle matinée explosive qui se prépare. Vers neuf heures, on entend déjà des tirs près de la présidence de la République. Une fois de plus, une foule de jeunes venus des quartiers populaires, visiblement sans avoir été stoppés par les forces de l'ordre, déferlent en passant près du camp Gallieni, où se trouve l'état-major, avant de passer près du siège de la Commission nationale électorale. « C'est une Yougoslavie à l'africaine », crie un manifestant. Les affrontements seront particulièrement durs avec des militaires visiblement décidés à ne pas lâcher prise. Vers onze heures, près de la présidence, des jeunes tentent à mains nues de s'approcher des soldats qui n'hésitent pas à tirer. On compte déjà plusieurs blessés et des morts, dont le décompte est encore difficile à établir. D'autres ont déjà pénétré dans les locaux de la radio nationale, non loin de là. Les programmes sont interrompus, alors que d'autres groupes ont pris la télévision, dans le quartier huppé de Cocody.
Des blindés dans le centre ville
Pendant ce temps, les événements sont en train de s'accélérer au sein de l'armée. Les gendarmes commencent à fraterniser avec les manifestants, de même que plusieurs corps de l'armée. Seuls les quatre à cinq cents hommes de la garde rapprochée du général Gueï sont réellement décidés à résister. En début d'après-midi, des blindés de la gendarmerie vont pénétrer dans le centre ville sous les acclamations. Les combats avec le dernier carré de fidèles se poursuivront jusqu'aux environs de seize heures. Une demi-heure plus tard, des gendarmes postés à côté de la radio nationale assureront que le calme est revenu, après la fuite des derniers éléments de la garde présidentielle, dont beaucoup ont abandonné leurs armes.
Entre temps, le pouvoir a déjà changé de main. Dans la matinée, le porte-parole de la junte, Henri Damala Sama, qui passait pour un faucon, a annoncé qu'il reconnaissait la victoire de Laurent Gbagbo et qu'il quittait le Conseil national de salut public. Sama aura d'ailleurs maille à partir avec des sympathisants très excités dans le centre ville. La rumeur court également que le général Mathias Doué, numéro deux de la junte, est prêt à prendre acte de l'avance évidente du leader du Front populaire ivoirien sur le général Gueï. En milieu de journée, Laurent Gbagbo fait sa première déclaration à la radio et à la télévision. Il remercie les « centaines de milliers de personnes » qui ont envahi les rues d'Abidjan et de plusieurs villes de Côte d'Ivoire. Il rend également hommage aux forces armées et insiste sur sa volonté de respecter la légalité. « J'invite la Commission nationale électorale à proclamer les résultats », dit-il avant de féliciter son président Honoré Guié, qui avait été forcé lundi soir manu militari d'interrompre le décompte des voix. Il annonce ensuite la formation prochaine d'un gouvernement.
Les Ivoiriens ne sont pas au bout de leurs surprises. En fin d'après-midi, le Rassemblement des républicains (RDR), parti d'Alassane Ouattara, peu disert depuis l'annonce des candidatures à la présidentielle le 6 octobre, fait savoir qu'il ne reconnaît pas la victoire de Laurent Gbagbo. Aly Coulibaly, le porte-parole du mouvement, n'appelle pas encore officiellement ses partisans à manifester. Mais plusieurs centaines d'entre eux convergent vers la radio nationale et la télévision. Des témoins affirment que de sérieux accrochages ont lieu avec les forces de l'ordre devant son siège. Sur l'autoroute, en direction des quartiers de Yopougon et d'Abobo, des petits groupes de partisans d'Alassane Ouattara courent vers le centre ville. « Ado, Ado ! !», crient-ils. Une voiture, également remplie de partisans du leader du RDR, passe en trombe.
Où est le général Gueï ?
Laurent Gbagbo poursuit néanmoins ses consultations. Il reçoit dans son quartier général les chefs des principaux corps de l'armée et de la police. Le chef d'état-major, le général Diabakaté, fait allégeance à celui qu'il présente déjà comme le président de la République. « Vos armées sont là, aujourd'hui à vos côtés pour vous dire qu'elles se mettent à votre disposition », déclare-t-il. Après cette rencontre, Laurent Gbagbo s'exprime à nouveau devant la presse pour dire qu'il souhaite coller à la légalité. « Je ne prendrai pas mes fonctions de chef de l'Etat tant que les normes légales n'auront pas été respectées », affirme-t-il. Il invite à nouveau la CNE à reprendre son décompte et à annoncer les résultats définitifs « au plus tard à minuit pour respecter le délai légal de trois jours et de les transmettre à la Cour suprême ». Il annonce, par ailleurs, qu'il demande au Premier ministre sortant, Seydou Diarra, de gérer les affaires courantes jusqu'à ce qu'il soit officiellement président. Ce que ce dernier accepte.
Vers 21h30, le président de la Commission nationale électorale reprend l'annonce des résultats, circonscription par circonscription. La nuit est presque normale dans le quartier du Plateau dont les rues sont encore jonchées de morceaux de pneus ou de bois brûlé. Aucun commerce n'a toutefois été endommagé par des manifestants relativement disciplinés qui ont tous regagné leurs quartiers.
Plusieurs inconnues subsistent toutefois en fin de soirée. A commencer par le sort du général Gueï. Selon plusieurs sources, il a quitté la présidence en milieu de matinée pour une destination inconnue. Le Bénin ? Certains l'affirment. Mais l'information est rapidement démentie par un conseiller du président Mathieu Kerekou. La nuit tombée, on ne sait toujours pas où se trouve le chef de la junte. Vers 17h00, un capitaine de gendarmerie rencontré près de la villa du quartier de l'Indénié avouait ne pas savoir où Robert Gueï se trouve. Ses hommes montaient en revanche la garde pour empêcher un éventuel pillage. Autre inconnue, l'attitude d'Alassane Ouattara, qui refuse pour l'instant le verdict des urnes, alors que ses partisans ont déjà commencé à manifester en plusieurs points de Côte d'Ivoire, jeudi.
Les Ivoiriens n'oublieront pas de sitôt la journée du 25 octobre 2000. En quelques heures, la situation politique qui semblait dans l'impasse s'est subitement débloquée après une succession d'événements qui ont débuté pendant la nuit. Autour de deux heures du matin, des coups de feu commencent à retentir dans la ville. On l'apprendra plus tard : il s'agit d'affrontements entre des éléments proches du général Gueï et des blindés de l'armée. Les versions divergent sur ce qui s'est réellement passé. Les assaillants sont-ils venus du camp militaire d'Akouédo, celui-là même où a débuté la mutinerie du 24 octobre 1999, pour attaquer celui de la « poudrière », un autre camp très favorable au chef de la junte ? Plusieurs sources l'affirment. L'homme fort de la garde présidentielle, l'adjudant Boka Yapi, considéré comme un dur, soutient en tous cas que l'assaut a été repoussé. Il aurait toutefois réclamé sans succès le renfort de la gendarmerie nationale, généralement considérée comme légaliste.
En tout début de matinée, le calme semble revenu dans la capitale économique ivoirienne. Le centre des affaires, le quartier du Plateau, est encore désert. Les commerces, qui étaient tous fermés le jour précédent, n'ont pas encore rouvert. Et pour cause : à en croire des témoins contactés dans plusieurs quartiers périphériques d'Abidjan, les sympathisants de Laurent Gbagbo et d'autres adversaires du général Gueï ont pris la rue, rendant impossible la circulation vers le centre ville. Dans le grand quartier populaire d'Abobo, la foule a commencé à envahir les rues un peu avant la levée du jour. Un peu plus tard, des témoignages font état de cortèges précédés de blindés de l'armée, ce qui confirme qu'une partie des militaires se désolidarise de la junte ivoirienne.
Dans le centre ville, après les affrontements de la veille entre manifestants et forces de l'ordre, c'est une nouvelle matinée explosive qui se prépare. Vers neuf heures, on entend déjà des tirs près de la présidence de la République. Une fois de plus, une foule de jeunes venus des quartiers populaires, visiblement sans avoir été stoppés par les forces de l'ordre, déferlent en passant près du camp Gallieni, où se trouve l'état-major, avant de passer près du siège de la Commission nationale électorale. « C'est une Yougoslavie à l'africaine », crie un manifestant. Les affrontements seront particulièrement durs avec des militaires visiblement décidés à ne pas lâcher prise. Vers onze heures, près de la présidence, des jeunes tentent à mains nues de s'approcher des soldats qui n'hésitent pas à tirer. On compte déjà plusieurs blessés et des morts, dont le décompte est encore difficile à établir. D'autres ont déjà pénétré dans les locaux de la radio nationale, non loin de là. Les programmes sont interrompus, alors que d'autres groupes ont pris la télévision, dans le quartier huppé de Cocody.
Des blindés dans le centre ville
Pendant ce temps, les événements sont en train de s'accélérer au sein de l'armée. Les gendarmes commencent à fraterniser avec les manifestants, de même que plusieurs corps de l'armée. Seuls les quatre à cinq cents hommes de la garde rapprochée du général Gueï sont réellement décidés à résister. En début d'après-midi, des blindés de la gendarmerie vont pénétrer dans le centre ville sous les acclamations. Les combats avec le dernier carré de fidèles se poursuivront jusqu'aux environs de seize heures. Une demi-heure plus tard, des gendarmes postés à côté de la radio nationale assureront que le calme est revenu, après la fuite des derniers éléments de la garde présidentielle, dont beaucoup ont abandonné leurs armes.
Entre temps, le pouvoir a déjà changé de main. Dans la matinée, le porte-parole de la junte, Henri Damala Sama, qui passait pour un faucon, a annoncé qu'il reconnaissait la victoire de Laurent Gbagbo et qu'il quittait le Conseil national de salut public. Sama aura d'ailleurs maille à partir avec des sympathisants très excités dans le centre ville. La rumeur court également que le général Mathias Doué, numéro deux de la junte, est prêt à prendre acte de l'avance évidente du leader du Front populaire ivoirien sur le général Gueï. En milieu de journée, Laurent Gbagbo fait sa première déclaration à la radio et à la télévision. Il remercie les « centaines de milliers de personnes » qui ont envahi les rues d'Abidjan et de plusieurs villes de Côte d'Ivoire. Il rend également hommage aux forces armées et insiste sur sa volonté de respecter la légalité. « J'invite la Commission nationale électorale à proclamer les résultats », dit-il avant de féliciter son président Honoré Guié, qui avait été forcé lundi soir manu militari d'interrompre le décompte des voix. Il annonce ensuite la formation prochaine d'un gouvernement.
Les Ivoiriens ne sont pas au bout de leurs surprises. En fin d'après-midi, le Rassemblement des républicains (RDR), parti d'Alassane Ouattara, peu disert depuis l'annonce des candidatures à la présidentielle le 6 octobre, fait savoir qu'il ne reconnaît pas la victoire de Laurent Gbagbo. Aly Coulibaly, le porte-parole du mouvement, n'appelle pas encore officiellement ses partisans à manifester. Mais plusieurs centaines d'entre eux convergent vers la radio nationale et la télévision. Des témoins affirment que de sérieux accrochages ont lieu avec les forces de l'ordre devant son siège. Sur l'autoroute, en direction des quartiers de Yopougon et d'Abobo, des petits groupes de partisans d'Alassane Ouattara courent vers le centre ville. « Ado, Ado ! !», crient-ils. Une voiture, également remplie de partisans du leader du RDR, passe en trombe.
Où est le général Gueï ?
Laurent Gbagbo poursuit néanmoins ses consultations. Il reçoit dans son quartier général les chefs des principaux corps de l'armée et de la police. Le chef d'état-major, le général Diabakaté, fait allégeance à celui qu'il présente déjà comme le président de la République. « Vos armées sont là, aujourd'hui à vos côtés pour vous dire qu'elles se mettent à votre disposition », déclare-t-il. Après cette rencontre, Laurent Gbagbo s'exprime à nouveau devant la presse pour dire qu'il souhaite coller à la légalité. « Je ne prendrai pas mes fonctions de chef de l'Etat tant que les normes légales n'auront pas été respectées », affirme-t-il. Il invite à nouveau la CNE à reprendre son décompte et à annoncer les résultats définitifs « au plus tard à minuit pour respecter le délai légal de trois jours et de les transmettre à la Cour suprême ». Il annonce, par ailleurs, qu'il demande au Premier ministre sortant, Seydou Diarra, de gérer les affaires courantes jusqu'à ce qu'il soit officiellement président. Ce que ce dernier accepte.
Vers 21h30, le président de la Commission nationale électorale reprend l'annonce des résultats, circonscription par circonscription. La nuit est presque normale dans le quartier du Plateau dont les rues sont encore jonchées de morceaux de pneus ou de bois brûlé. Aucun commerce n'a toutefois été endommagé par des manifestants relativement disciplinés qui ont tous regagné leurs quartiers.
Plusieurs inconnues subsistent toutefois en fin de soirée. A commencer par le sort du général Gueï. Selon plusieurs sources, il a quitté la présidence en milieu de matinée pour une destination inconnue. Le Bénin ? Certains l'affirment. Mais l'information est rapidement démentie par un conseiller du président Mathieu Kerekou. La nuit tombée, on ne sait toujours pas où se trouve le chef de la junte. Vers 17h00, un capitaine de gendarmerie rencontré près de la villa du quartier de l'Indénié avouait ne pas savoir où Robert Gueï se trouve. Ses hommes montaient en revanche la garde pour empêcher un éventuel pillage. Autre inconnue, l'attitude d'Alassane Ouattara, qui refuse pour l'instant le verdict des urnes, alors que ses partisans ont déjà commencé à manifester en plusieurs points de Côte d'Ivoire, jeudi.
par A Abidjan, Christophe Champin
Article publié le 26/10/2000 Dernière mise à jour le 19/10/2010 à 14:29 TU