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Prix littéraires

Michael Ondaatje, un romancier qui s'attaque à la guerre

«Cadavres brûlés. Cadavres jetés dans les fleuves ou dans la mer. Cadavres dissimulés puis enterrés ailleurs. C'était une guerre de Cent Ans menée à l'aide d'un armement moderneà». L'action de Fantôme d'Avril se situe dans le Sri Lanka contemporain ravagé par la guerre.

La protagoniste de ce roman est une jeune femme d'une trentaine d'années. Médecin au sein d'une organisation internationale, Anil débarque dans l'île pour enquêter sur les exécutions perpétrées par des groupes inconnus. A quel camp appartiennent les meurtriers? Aux guérilleros séparatistes? Aux insurgés du Sud? Aux militaires?

Sous couvert d'un thriller politique et policier, le romancier nous livre ici le récit baroque de la descente en enfer d'un pays qui lui est cher. Au désarroi de l'auteur face à la destruction morale et matérielle causée par la guerre civile, répond en écho celui de l'héroïne, elle aussi issue de cette île, et qui doit affronter les fantômes de son propre passé, tout en poursuivant sa dangereuse mission.

Révélé au grand public par la splendide adaptation de son très beau roman Le Patient anglais, Michael Ondaatje publie depuis les années 60. Né au Sri Lanka en 1943 dans une famille aisée et établi au Canada depuis l'âge de dix-huit ans, Ondaatje est entré en littérature par la poésie. Il a à son actif une dizaine de recueils. Dans ses poèmes souvent elliptiques et proches des haïkus japonais, Ondaatje explore les thèmes de la guerre, de l'exil, de l'histoire qui sont les constantes de son £uvre. La question de la guerre était, on se souvient, au c£ur de l'intrigue romantique du Patient anglais, roman qui a obtenu le Booker prize (le Goncourt anglais) et fable sur la vanité des hommes et des nations. La tirade du protagoniste contre les nations est un des plus beaux moments du livre: «Nous étions allemands, anglais, hongrois, africains, mais pour les Bédouins du désert, cela ne voulait rien dire. peu à peu, nous sommes devenus apatrides. J'en vins à détester les nations. Le désert, c'était un endroit où régnait la confiance. Nous disparaissions dans le paysage. Feu et sable. Effacez le nom de famille! Effacez les nations!»

Les premiers romans d'Ondaatje qui ont pour titres Billy the kid, £uvres complètes (1970), Les Blues de Buddy Bolden (1976), Un air de famille (1982) et La Peau d'un lion (1987) , sont des ouvrages hybrides, à la croisée de la fiction, du texte poétique et du documentaire. Ils ont pour thème la quête de soi, une quête qui s'appuie, ici, sur des photos de familles jaunies par le temps, ailleurs, sur le parcours emblématique de héros oubliés de l'histoire culturelle et sociale américaine tels le poète-tueur Billy the kid ou le cornettiste de l'aube du jazz Buddy Bolden. Ce sont des récits ludiques, faits de collages narratifs et de séquences lyriques, que Michael Ondaatje qualifie de «puzzles dont le lecteur est invité à recoller lui-même les morceaux ». En rupture avec cette veine ludique, Le fantôme d'Anil, et Le Patient anglais, sont des livres graves où la structure narrative complexe reflète la conscience atomisée, aliénée, atrophiée des citoyens otages de guerres insensées. Cette conscience déshumanisée est le véritable sujet des écrits récents d'Ondaatje, comme le montrent ces quelques vers tirés de ses Ecrits à la main. «Au dessus du sol, du massacre et des guerres raciales./Un c£ur réduit au silence./La langue arrachée./Le corps humain fusionnant avec un pneu enflammé./La boue furieuse/qui regarde

TIRTHANKAR CHANDA

Michael Ondaatje: Le Fantôme d'Anil; Traduit de l'anglais (Canada) par Michel Lederer. Editions de l'Olivier. 300 p., 130 FF. A lire aussi: Ecrits à la main, poèmes par Michael Ondaatje. Editions de l'Olivier. 90 p., 100 FF.




Article publié le 06/11/2000