Côte d''Ivoire
Laurent Gbagbo entre état de droit et état d'urgence
La capitale économique de la Côte d'Ivoire a retrouvé son visage de tous les jours, ce mercredi 6 décembre, après une nuit marquée, dans les quartiers périphériques d'Adjamé et Abobo, par des coups de feu, des tirs de gaz lacrymogènes et des rafles des forces de l'ordre contre des partisans du RDR, selon des témoins cités par l'AFP. Le Mouvement ivoirien des droits de l'homme a annoncé que des boutiques ont été brûlées et des militaires ont interpellé « des familles entières ». Interrogé par RFI, le ministre de l'Intérieur, Emile Boga Doudou, a expliqué avoir ordonné « des rafles systématiques sur ceux qui font obstruction à la libre circulation ». L'ONU a annoncé mardi soir qu'elle retirait ses observateurs électoraux et la France s'est déclarée « gravement préoccupée par les violences » et a annoncé la fermeture des établissements scolaires français à Abidjan.
Lundi et mardi, les violences ont fait 13 morts (dont un policier et un gendarme) selon les autorités ivoiriennes. Le parti d'Alassane Ouattara parle pour sa part d'« au moins 30 morts ».
Lundi et mardi, les violences ont fait 13 morts (dont un policier et un gendarme) selon les autorités ivoiriennes. Le parti d'Alassane Ouattara parle pour sa part d'« au moins 30 morts ».
Au soir d'un « lundi sanglant » au cours duquel Abidjan a paru livrée à des milliers de jeunes opposants nordistes déterminés à « tout gâter », Laurent Gbagbo a dû, pour la première fois depuis son élection, faire face à une crise majeure. Et faire des choix qui conditionneront la suite des événements. Fidèle à sa stratégie basée sur une conception nationale - voire nationaliste - du pouvoir, ainsi que sur sa propre conception de l'« ivoirité », il a dit trois fois non à la menace putschiste, à l'état de non-droit et au risque de sécession. Ce qui ne peut que l'éloigner encore plus du RDR d'Alassane Ouattara et de Henriette Diabaté.
Il a annoncé des mesures d'exception - couvre-feu et état d'urgence - dans tout le pays jusqu'au 12 décembre et la réquisition de l'armée pour appuyer les forces de l'ordre, visiblement dépassées par les « fauteurs de troubles », leur enjoignant de « se défendre si elles sont en état de légitime défense ». Ces mesures étaient devenues inévitables à partir du moment où des manifestants armés n'obéissaient plus aux consignes officielles de la direction du RDR. « Des promesses ont été faites et des engagements pris (par le RDR tôt lundi matin). Grande fut ma surprise, aucun de ces engagements n'a été respecté. Des militants du RDR armés ont brûlé et cassé », a déclaré le président ivoirien, avant de dénoncer les incidents de lundi comme « une escalade de la violence inacceptable et qui ne sera pas acceptée ». « Le pouvoir s'acquiert dans les urnes », a-t-il précisé en s'attaquant à « la mentalité de putschistes que développent certains de nos compatriotes... Certains parlent même de proclamer une république indépendante en Côte d'Ivoire ».
Des élections législatives, coûte que coûte
Quelques heures plus tôt des manifestants affirmaient ouvertement n'avoir plus pour « seules armes » que la violence et la sécession. « On nous a retiré toute possibilité d'expression par les urnes », a dit l'un d'eux, en brandissant une machette. « Il ne nous reste que la violence ou la sécession du Nord » du pays, en majorité musulman et dioula. D'autres ajoutaient : « Si la Côte d'Ivoire ne nous reconnaît plus, nous ne voulons plus en faire partie. Nous voulons que le Nord soit rattaché au Burkina Faso ». Autant d'affirmations surprenantes qui illustrent bien le désarroi de nombreux « nordistes » mais qui ne peuvent que renforcer les Ivoiriens des autres régions qui pensent que « les nordistes ne jouent pas le jeu », voire « font le jeu de l'étranger ».
Pour cela Laurent Gbagbo a réaffirmé son attachement à la paix et à la sécurité mais d'abord à l'état de droit. Ce qui est un acquis non négligeable depuis l'existence d'une Cour suprême et d'une Commission électorale indépendante. « La Cour suprême a parlé, a-t-il dit. Cette décision (d'invalider la candidature d'Ouattara) s'impose à tout le monde, y compris à moi-même. On ne me verra jamais tripatouiller une décision de justice ».
Mais le président ivoirien a d'abord dû se confronter à un autre choix difficile : que faire d'une Chambre constitutionnelle de la Cour suprême mise en place par le général Gueï? Aurait-il dû la démanteler tout de suite, pour ne pas risquer une nouvelle invalidation de la candidature d'Ouattara, comme des conseillers lui suggéraient ? Gbagbo, conscient qu'il allait être critiqué quoiqu'il fasse, a finalement choisi de laisser les choses en place. Mais il a aussi laissé des juristes de son parti (le FPI) introduire plusieurs recours auprès de la Cour suprême, sous couvert de simples « militants de base». Pourquoi a-t-il laissé son parti lancer une nouvelle « affaire Ouattara » ? Tout d'abord parce que de nombreuses voix s'étaient déjà levées au sein du FPI pour critiquer la « poignée de main historique » entre Gbagbo et Gueï du 13 novembre dernier. Et elles restent fidèles à ce qu'on appelle, à Abidjan, le TSO : Tout Sauf Ouattara. Finalement, Gbagbo a choisi de ne pas mécontenter la base de son parti, ainsi que la grande majorité des Ivoiriens, et de se mettre à dos une nouvelle fois l'opinion publique internationale. Il prend aussi le risque de favoriser de facto la « chasse au nordiste ».
Mais il veut surtout que les élections de dimanche prochain aient lieu, coûte que coûte. Car, la Côte d'Ivoire ne pourra revenir à la normale, et retrouver sa place au sein de l'Afrique occidentale, que si elles se tiennent - même dans des conditions qui ne s'annoncent vraiment pas optimales. Pour cela Gbagbo a coupé définitivement les ponts avec Alassane Ouattara, mais pas avec d'autres leaders du RDR, ni avec des leaders du PDCI. A Abidjan comme ailleurs, un Parlement sans véritable opposition n'en est pas un.
Il a annoncé des mesures d'exception - couvre-feu et état d'urgence - dans tout le pays jusqu'au 12 décembre et la réquisition de l'armée pour appuyer les forces de l'ordre, visiblement dépassées par les « fauteurs de troubles », leur enjoignant de « se défendre si elles sont en état de légitime défense ». Ces mesures étaient devenues inévitables à partir du moment où des manifestants armés n'obéissaient plus aux consignes officielles de la direction du RDR. « Des promesses ont été faites et des engagements pris (par le RDR tôt lundi matin). Grande fut ma surprise, aucun de ces engagements n'a été respecté. Des militants du RDR armés ont brûlé et cassé », a déclaré le président ivoirien, avant de dénoncer les incidents de lundi comme « une escalade de la violence inacceptable et qui ne sera pas acceptée ». « Le pouvoir s'acquiert dans les urnes », a-t-il précisé en s'attaquant à « la mentalité de putschistes que développent certains de nos compatriotes... Certains parlent même de proclamer une république indépendante en Côte d'Ivoire ».
Des élections législatives, coûte que coûte
Quelques heures plus tôt des manifestants affirmaient ouvertement n'avoir plus pour « seules armes » que la violence et la sécession. « On nous a retiré toute possibilité d'expression par les urnes », a dit l'un d'eux, en brandissant une machette. « Il ne nous reste que la violence ou la sécession du Nord » du pays, en majorité musulman et dioula. D'autres ajoutaient : « Si la Côte d'Ivoire ne nous reconnaît plus, nous ne voulons plus en faire partie. Nous voulons que le Nord soit rattaché au Burkina Faso ». Autant d'affirmations surprenantes qui illustrent bien le désarroi de nombreux « nordistes » mais qui ne peuvent que renforcer les Ivoiriens des autres régions qui pensent que « les nordistes ne jouent pas le jeu », voire « font le jeu de l'étranger ».
Pour cela Laurent Gbagbo a réaffirmé son attachement à la paix et à la sécurité mais d'abord à l'état de droit. Ce qui est un acquis non négligeable depuis l'existence d'une Cour suprême et d'une Commission électorale indépendante. « La Cour suprême a parlé, a-t-il dit. Cette décision (d'invalider la candidature d'Ouattara) s'impose à tout le monde, y compris à moi-même. On ne me verra jamais tripatouiller une décision de justice ».
Mais le président ivoirien a d'abord dû se confronter à un autre choix difficile : que faire d'une Chambre constitutionnelle de la Cour suprême mise en place par le général Gueï? Aurait-il dû la démanteler tout de suite, pour ne pas risquer une nouvelle invalidation de la candidature d'Ouattara, comme des conseillers lui suggéraient ? Gbagbo, conscient qu'il allait être critiqué quoiqu'il fasse, a finalement choisi de laisser les choses en place. Mais il a aussi laissé des juristes de son parti (le FPI) introduire plusieurs recours auprès de la Cour suprême, sous couvert de simples « militants de base». Pourquoi a-t-il laissé son parti lancer une nouvelle « affaire Ouattara » ? Tout d'abord parce que de nombreuses voix s'étaient déjà levées au sein du FPI pour critiquer la « poignée de main historique » entre Gbagbo et Gueï du 13 novembre dernier. Et elles restent fidèles à ce qu'on appelle, à Abidjan, le TSO : Tout Sauf Ouattara. Finalement, Gbagbo a choisi de ne pas mécontenter la base de son parti, ainsi que la grande majorité des Ivoiriens, et de se mettre à dos une nouvelle fois l'opinion publique internationale. Il prend aussi le risque de favoriser de facto la « chasse au nordiste ».
Mais il veut surtout que les élections de dimanche prochain aient lieu, coûte que coûte. Car, la Côte d'Ivoire ne pourra revenir à la normale, et retrouver sa place au sein de l'Afrique occidentale, que si elles se tiennent - même dans des conditions qui ne s'annoncent vraiment pas optimales. Pour cela Gbagbo a coupé définitivement les ponts avec Alassane Ouattara, mais pas avec d'autres leaders du RDR, ni avec des leaders du PDCI. A Abidjan comme ailleurs, un Parlement sans véritable opposition n'en est pas un.
par Elio Comarin
Article publié le 05/12/2000