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Roumanie

Bucarest tourne le dos à l'Europe

Les élections générales en Roumanie sont marquées par l'ascension fulgurante du parti d'extrême-droite antisémite et xénophobe Romania Mare de Corneliu Vadim Tudor qui affrontera au deuxième tour de la présidentielle l'ex-communiste et ancien président Ion Illiescu.
L'annonce des résultats des élections générales est tombée comme un coup de massue sur la tête des démocrates et des pro-européens en Roumanie. C'est le parti de l'ancien président (de 1990 à 1996) Ion Illiescu qui arrive en tête des suffrages, mais le score du Parti de la démocratie sociale (PDSR) est beaucoup moins flatteur que ne le laissaient envisager les sondages. Avec 37% des voix aux législatives (résultats provisoires), le PDSR, qui se présente comme un parti social-démocrate mais qui demeure l'héritier du parti communiste aux yeux de ses détracteurs, ne pourra pas gouverner seul.

C'est le leader d'extrême-droite Corneliu Vadim Tudor, qui réalise le score le plus inattendu. Avec plus de 28% des voix, il sera présent au deuxième tour de l'élection présidentielle le 10 décembre prochain face à Ion Illiescu. Quant à son parti Romania Mare, avec 21% des suffrages aux législatives, il se classe en deuxième position et constituera la première force d'opposition au sein du parlement¯: un résultat dont même les plus chauds partisans de l'homme aux incroyables lunettes noires n'avaient osé rêver. L'ancien thuriféraire de Nicolae Ceausescu, qui est devenu sans doute le responsable politique le plus ouvertement xénophobe et antisémite d'Europe, fait aujourd'hui figure de grand vainqueur du scrutin au grand dam de tous les démocrates.

Il faut dire que l'homme à de quoi faire peur. Corneliu Vadim Tudor, sénateur de 51 ans, estime que son pays «ne peut être dirigé qu'à la mitraillette» et celui qui se présente volontiers comme «le sauveur de la patrie» juge que les Juifs sont «la source de tous les maux» de la Roumanie, que les membres de la minorité hongroise sont des «espions» et qu'il faudrait enfermer les Tziganes dans des «ghettos». Le succès électoral de Corneliu Vadim Tudor et de son parti a provoqué un coup de froid au siège de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe à Vienne. La Roumanie doit en effet prendre la présidence tournante de l'OSCE le 1er janvier prochain.

La défaite totale des «centristes»

En boudant les urnes dimanche, les Roumains ont manifesté leur mécontentement devant la dégradation continue de la situation économique du pays ces dernières années. Les partis «centristes» en font les frais. Ils ne sont que trois à franchir la barre des 5% requise pour être représenté au Parlement¯: Le parti démocrate de l'ancien Premier ministre Petre Roman (7%), le parti national libéral (7%) et l'Union démocratique des Magyars de Roumanie (6%).

L'ascension fulgurante de l'extrême-droite provoque des craintes au sein de la forte minorité hongroise.«Si Vadim est élu, nous tous, ceux qui défendent des idées démocratiques, risquons d'être obligés de prendre nos passeports et de quitter la Roumanie», s'alarme Gyorgy Frunda le leader de l'Union démocratique des Magyars de Roumanie.

Les résultats du scrutin provoquent également l'inquiétude du quotidien Romania Libera qui s'interroge lundi matin «un président ultranationaliste ou un chef d'Etat contrebandier ?». Ce quotidien proche des chrétiens-démocrates accuse Ion Illiescu d'avoir fourni des armes et du pétrole à la Yougoslavie de Slobodan Milosevic en violation de l'embargo des Nations Unies.

Au delà de la question de la composition de l'alliance qui gouvernera la Roumanie et du nom de son président, c'est son avenir à l'intérieur ou en marge de l'Europe qui est en train de se jouer. Aux yeux de nombreux observateurs, une alliance éventuelle entre le PDSR de Ion Illiescu et le PRM de Corneliu Vadim Tudor fermerait les portes de l'Europe à la Roumanie pour nombre d'années.



par Philippe  Couve (avec AFP)

Article publié le 07/12/2000