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Côte d''Ivoire

Les violences chassent les Béninois

Les événements sanglants et les manifestations xénophobes en Côte d'Ivoire effraient les travailleurs venus des pays voisins. Parmi eux, des dizaines de milliers de Béninois fuient Abidjan pour revenir au pays.

De notre envoyé spécial à Cotonou

Craignant pour leurs biens, pour leur vie, c'est par milliers qu'ils rentrent au Bénin. Ils étaient partis travailler en Côte d'Ivoire, attirés par cet Eldorado de l'Afrique de l'Ouest où les étrangers venus contribuer à la réussite économique du pays étaient naguère bien accueillis.

Aujourd'hui, la politique d'immigration initiée par Félix Houphouêt-Boigny n'est plus qu'un souvenir qui fait place à une xénophobie de plus en plus menaçante. Depuis plusieurs jours, fuyant les troubles meurtriers, des minibus, des autocars bondés quittent Abidjan. Ils traversent le Ghana et le Togo, ramenant chez elles des familles entières de travailleurs béninois, souvent des ferronniers ou des menuisiers dont les épouses s'étaient spécialisées, là-bas, dans la petite restauration. D'autres, professeurs ou cadres, rentrent en voiture. Certains, les plus fortunés, reviennent à Cotonou par avion. Même des Ivoiriens, souvent des Dioulas du nord, premières cibles des violences, viennent chercher refuge au Bénin quand ils y ont des amis. A la gare routière de Cotonou, les cars arrivent pleins, et repartent vides. Hormis quelques intrépides, peu de candidats au départ.

Ceux qui ont une voiture n'hésitent pas. S'ils ont de la famille en Côte d'Ivoire, ils prennent le volant. «Je suis allé chercher mes deux belles-s£urs, raconte Gilles Gauthé, un analyste financier béninois qui a grandi à Abidjan. Ma femme est un peu soulagée mais nous restons très inquiets. Mes oncles et mes cousins sont restés sur place. Ils travaillent à Air Afrique, ils ont fait construire une maison, et l'un d'eux a même pris la nationalité ivoirienne. Moi-même, quand je travaillais là-bas, je n'avais pas de problèmes pour m'intégrer. Vous savez pourquoi ? Parce que mon nom à une sonorité ivoirienne. Gauthé, c'est proche de Gauthié. Je disais que je venais de Bouaké, et que j'étais baoulé. A l'époque d'Houphouêt, j'ai même été militant au PDCI !».

«A cause de ses scarifications, on sait tout de suite qu'il est étranger»

Déjà, lors de l'élection présidentielle ivoirienne d'octobre dernier, les violences avaient conduit à un exode massif. Selon la radio nationale béninoise, au moins 150¯000 personnes étaient rentrées au Bénin. Pour retourner en Côte d'Ivoire plusieurs jours après, une fois le calme revenu. Aujourd'hui encore, le retour à Cotonou n'est peut-être que provisoire. Car malgré la peur, les émigrés béninois savent que pour gagner de quoi nourrir leur famille, il n'y a pas d'autre solution que la Côte d'Ivoire. La carte de séjour n'y vaut que 10¯000 CFA, contre 60¯000 au Gabon. Abidjan n'est pas loin, à peine 1¯000 kilomètres. Et l'on y parle français, contrairement au Nigeria. Le grand voisin anglophone est une source d'approvisionnement qui déverse ses produits sur Cotonou, ce qui amortit le manque à gagner ivoirien, mais on n'y trouve pas facilement du travail.
C'est pourquoi, en attendant des jours meilleurs, certains Béninois restent malgré tout en Côte d'Ivoire. Comme cette restauratrice que nous avons joints dans son petit maquis, au quartier abidjanais des Deux Plateaux. «A cause des bouleversements, confie-t-elle, mon commerce ne marche pas du tout. On a la trouille de ce qui se passe ici. On attend les législatives pour se situer. J'espère qu'après, tout ira mieux». Ils savent qu'ils prennent des risques, et qu'ils entretiennent la crainte chez leurs proches. «J'ai peur pour des amis, confie Gilles Gauthé. L'un d'eux vit dans le quartier de Koumassi, près de l'aéroport d'Abidjan. Il m'a appelé en me disant que le climat était très malsain. A cause de ses scarifications, on sait tout de suite qu'il est étranger. On l'insulte, il subit des humiliations quotidiennes, et sa femme, qui est ivoirienne, l'a quitté sous la pression de sa famille. Je crois qu'il va finir par rentrer lui aussià»




par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 08/12/2000