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Côte d''Ivoire

L'inquiétude des étrangers d'Afrique

De notre envoyée spéciale à Abidjan

Une photo de Thomas Sankara est collée sur la boîte à gants de sa voiture. Raphaël est branché sur 97,6, la fréquence FM de RFI qu'il écoute à plein tubes. Fenêtre grande ouverte, la chaleur est déjà moite à la mi-journée avec une température avoisinant les 30 degrés. Il lâche, appuyant sur le champignon de sa Toyota : «Je suis Mossi et je pense qu'ici on ne veut plus de nous. Tous ces troubles, c'est pour chasser les étrangers.»

En Côte d'Ivoire, il y aurait plus de trois millions de Burkinabè, deux millions de Maliens, 800 000 Sénégalais. Viennent ensuite les Mauritaniens (700 000), et enfin les Nigériens (600 000). Des chiffres à prendre avec prudence, car le dernier recensement date de 1999 et certains «étrangers» s'y sont dérobés, le débat sur l'ivoirité faisant déjà rage à l'époque. Ils redoutaient d'être soumis à de lourdes taxes.

«J'ai 34 ans. Je vis ici depuis 19 ans, poursuit Raphaël. Je viens du Burkina. Ma copine est Ivoirienne, elle est Baoulé. Avant-hier, la police est venue aux Deux Plateaux pour racketter. Ma copine et moi, on n'habite pas ensemble. Moi, je préfère rester à la Riviera, c'est plus sûr. On se cache dès le couvre-feu, je vis caché dès 19 heures».

La langue de Raphaël se délie. Depuis quand ses ennuis ont-ils commencé ? «Depuis l'arrivée de Bédié. Tu sais quand les flics te contrôlent, si t'es pas ivoirien, tu es souvent racketté. J'ai des amis du Burkina. A Adjamé, on a déchiré leur carte d'identité pour les humilier. En ce moment, tous ceux qui sont retenus à l'école de police après les troubles sont Dioulas. Si t'as un nom dioula, t'es mal». Et les élections ? «Je ne peux pas voter parce que je suis considéré comme étranger». Enfin, explique-t-il, «aujourd'hui, je veux partir. J'aimerais que le gouvernement du Burkina fasse un effort pour que je puisse rentrer».

«La Côte d'Ivoire est gâtée»


Ce vendredi est jour de prière pour les musulmans, un accident ralentit la circulation, les embouteillages n'en finissent plus. Azimo, lui est de père burkinabè et de mère ivoirienne. Il ne sait que répéter : «La Côte d'Ivoire est gâtée», en haussant les épaules. Concours d'insultes entre chauffeurs de taxis, puis éclats de rire.

Au marché de Cocody, pour Blancs en quête de souvenir, les vendeurs sénégalais affichent une certaine sérénité. Ce ne sont pas les plus mal lotis. «On nous laisse tranquilles, ici». Les affaires sont les affaires et puis Cocody, le quartier des ambassades et des villas luxueuses, est sur toutes les cartes postales.

Retour au Plateau. Dans une échoppe de tissus, de nouveau RFI, à fond. A croire que la chaleur rend sourd. Trois vendeuses dioulas écoutent les dernières informations. A Odienné, dans le nord du pays, ça ne va pas très bien, apprend-on. Déjà, à Kong, les fonctionnaires ont dû faire leurs valises, pour fuir la contestation des «gens du Nord». Un passant s'arrête, lui aussi pour écouter le flash et interpelle les vendeuses. «Ils ne respectent pas le président Gbagbo !» Celles-ci répliquent : «tu dis ça parce que tu es un Bété». Alors, ces dames iront-elles voter dimanche ? «On est ivoiriennes, mais on ne peut pas voter. D'ailleurs c'est pas pour Alassane Ouattara qu'on se bat, c'est pour nous».

Abdrahamane, la trentaine chic, fait partie de l'élite. Malien, il a grandi en Côte d'Ivoire. Cadre supérieur, il dirige aujourd'hui une entreprise spécialisée dans l'agro-alimentaire. «Ce pays est dans une dérive raciste, dit-il. Après trente ans de stabilité politique, d'économie florissante, on ne comprend pas ce qui nous arrive. Les gens ont peur. Ils avaient pourtant salué l'arrivée de Gueï comme un libérateur. Ensuite, le général s'est accroché au pouvoirà Ce qui est dangereux maintenant, c'est qu'on ne voit pas d'issue depuis les présidentielles». Et de dénoncer la gabegie et la corruption qui ont vidé les caisses du pays. Abdrahamane ne comprend pas que la réaction de la France, l'ancienne puissance coloniale, soit aussi «molle». «Paris aurait les moyens de taper du poing sur la table pour faire changer les choses, mais là, les Français louvoient, même s'il s'agit de protéger leurs ressortissants».

Il voyage régulièrement en Europe pour ses affaires et chez lui, à Abidjan, dans son quartier des Deux Plateaux, il ne se sent plus en sécurité. «Il y a des barrages sur les routes. Pour passer au travers, sans racket, sans soucis, il faut de la chance. C'est comme la démocratie, c'est un coup de chance».



par Sylvie  Berruet

Article publié le 09/12/2000