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Affaires politico-financières

Chirac : une heure pour convaincre

Pendant une heure, le président de la République s'est expliqué à la télévision. Sur le sommet européen de Nice, sur le calendrier électoral, sur la Corse. Mais surtout, sur les «affaires».
Jacques Chirac n'est pas toujours au mieux de sa forme dans les entretiens télévisés. Mais une heure durant, ce jeudi soir, face à Patrick Poivre d'Arvor, le chef de l'Etat a déployé toute sa force de conviction. L'entretien, bien sûr, avait été soigneusement préparé par l'équipe élyséenne. Ostensiblement, le rendez-vous avait été pris sur TF1 pour permettre au chef de l'Etat de s'exprimer sur le sommet européen de Nice et sur les autres «sujets d'actualité».

L'émission a effectivement commencé par un plaidoyer passionné du président Chirac pour les «progrès considérables» enregistrés à Nice sur «tout ce qui touche à la vie quotidienne des citoyens». Rejetant les critiques sur la modestie des résultats obtenus à Nice, Jacques Chirac a au contraire estimé que le Traité de Nice «restera dans l'histoire de l'Europe comme un bon accord et même comme un accord très positif». Au passage, il a rendu un hommage appuyé au travail du gouvernement et au Premier ministre. Le chef de l'Etat est au-dessus des partis. Quant à la cohabitation, Jacques Chirac a rappelé que ce sont les Français qui l'ont voulu et estimé que le Premier ministre et lui-même ne doivent avoir pour seule préoccupation que de «servir la France et les Français». Lorsque Patrick Poivre d'Arvor l'interroge sur la victoire électorale de George W. Bush, Jacques Chirac cite Al Gore pour rappeler que le respect de la constitution est garante de la démocratie.

L'air de rien, il pose des jalons pour les démonstrations à venir. Comme par exemple son refus de l'inversion du calendrier électoral. Il sait qu'il ne peut s'opposer juridiquement à une réforme à laquelle, de surcroît, une majorité de Français est favorable. Mais il prend date pour dénoncer «une mesure de convenance», prise «à la sauvette» dans des conditions «pas très dignes». Le nom de Lionel Jospin n'est pas cité, mais chacun est invité à comprendre à demi-mot.

L'entretien dure déjà depuis une demi-heure et l'on a à peine épuisé les hors-d'£uvre lorsque le journaliste attaque enfin le plat de résistance : les «affaires». Que pense le président de la République de l'arrestation de son ami Michel Roussin. Le visage de Jacques Chirac, grave et solennel depuis le début de l'émission, se durcit. Il refait l'historique de cette époque où tous les partis se finançaient de façon occulte, rappelle que la première loi sur le financement des partis politiques a été votée en 1988 lorsqu'il était premier ministre, qu'elle a été «améliorée» en 1990 par Michel Rocard puis en 1995 par Edouard Balladur.

«Je ne peux pas y croire»

Mais, bien que le président rejette l'idée d'une amnistie, il martèle que ces affaires datent d'une dizaine d'années, que ces pratiques n'ont plus cours. La publicité donnée à ces affaires par les médias donne «une image extrêmement préjudiciable aux intérêts de la France à l'étranger». De surcroît, cette présence médiatique entretient chez les Français le «vieux penchant du ôtous pourrisö», ce qui est «extrêmement dangereux pour la démocratie».

Alors comment réagit-il à l'incarcération de Roussin ? insiste Poivre d'Arvor. Le président se refuse à commenter l'action des juges. Il consent cependant à dire tout le bien de ce jeune officier de gendarmerie qui a fait par la suite une belle carrière à ses côtés. A cet instant, difficile de ne pas penser à François Mitterrand, quelques années plus tôt, interrogé sur un autre officier de gendarmerie mêlé à l'affaires des Irlandais de Vincennes : «Les Français apprendront à connaître et à aimer le commandant Prouteau», avait dit le prédécesseur de Jacques Chirac à l'Elysée. Quant à l'affaires des marchés truqués d'Ile-de-France, «si elle est avérée, je ne peux pas y croire», a simplement dit le Chef de l'Etat, pour qui il faut s'en remettre à la justice «et elle seule».

Est-il prêt dans ces conditions, a se laisser interroger par un juge d'instruction demande Patrick Poivre d'Arvor qui ignore peut-être que le jour même, les juges Riberolles et Brisset-Foucault se sont déclarés incompétents pour entendre le chef de l'Etat ? La réponse fuse instantanément : «Non !». «Hélas», ajoute-t-il. Lui ne demanderait pas mieux, pour se défendre. Mais la constitution, toujours la constitution qu'il doit préserver car telle est sa mission, ne lui permet pas, au nom de la séparation des pouvoirs, d'être dépendant d'un juge, alors que de surcroît, président du Conseil supérieur de la magistrature, il nomme les plus hauts magistrats du pays.

L'entretien est terminé. Les éditorialistes interrogés sur les chaînes de radios sont partagés sur la performance de Jacques Chirac. Les magistrats ne se laisseront peut-être pas démonter. Mais la seule question que se pose sans doute, en cet instant, le président de la République concerne les Français. A-t-il réussi à les convaincre suffisamment pour que se relâche enfin la pression ?



par Olivier  Da Lage

Article publié le 14/12/2000