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Burkina Faso

La deuxième mort de Norbert Zongo

Le gouvernement burkinabé aura été ferme jusqu'au bout dans sa volonté d'interdire toute manifestation commémorative du deuxième anniversaire de l'assassinat du journaliste Norbert Zongo. Les forces de l'ordre ont violemment réprimé tout regroupement de manifestants, avant d'empêcher la tenue du Festival international de la liberté d'expression et de presse.
De notre correspondant au Burkina Faso

Le Collectif contre l'impunité, qui lutte depuis deux ans pour exiger vérité et justice dans l'affaire Zongo et dans les nombreuses autres affaires de crimes impunis, avait décidé de passer outre le décret gouvernemental pris le 6 décembre suspendant « jusqu'à nouvel ordre, toutes les manifestations sur la voie publique. » Mais partout dans le pays le 13 décembre ses militants se sont heurtés aux forces de l'ordre qui ont très tôt occupé places publiques et bourses du travail. Finalement, aucun des nombreux meetings, marches et sit-in programmés dans les villes n'a pu se tenir. A Ouagadougou, le cimetière de Gounghin - où sont enterrés le journaliste et ses compagnons du 13 décembre - a été encerclé par la police qui a empêché dirigeants et militants du Collectif de se recueillir sur la tombe de leur héros. Des centaines de jeunes se sont alors repliés dans un quartier voisin pour ériger des barricades et enflammer des pneus. Durant toute la matinée, policiers et manifestants se sont livrés à des échanges de pierre et de grenades lacrymogènes et à une course poursuite dans les rues du quartier.

Les plus violentes manifestations ont été enregistrées à Koudougou (à l'ouest de Ouagadougou), où était né Norbert Zongo. Dès le 12 décembre, la tension est montée entre les sympathisants du Collectif et les militants du parti de l'Alliance pour la fédération et la démocratie - Rassemblement démocratique africain (ADF-RDA) qui est entré récemment au gouvernement. Des manifestants ont attaqué la résidence du leader du parti Hermann Yaméogo et ont mis le feu à ses véhicules. En représaille, les partisans de l'ADF-RDA ont mené des expéditions punitives à l'encontre des dirigeants locaux du Collectif, mettant le feu à leurs maisons. Selon la presse burkinabé, des partisans du pouvoir organisés en milice et armés de gourdins se sont livrés à une chasse aux manifestants dans plusieurs villes du pays.

Le sabotage du Festival de la liberté de la presse

Le gouvernement a également empêché la tenue du Festival international pour la liberté d'expression et de presse, prévu du 12 au 16 décembre par Media Foundation for West Africa, le Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples (MBDHP) et le Centre national de presse Norbert Zongo, avec la participation de 19 associations de droits humains et de journalistes venus d'Afrique, d'Europe et des Etats-Unis. Alors que les initiateurs avaient obtenu toutes les autorisations nécessaires pour l'organisation de ce festival, ils ont été empêchés par la police de mener leurs activités.

D'abord, les autorités ont refusé d'accorder aux organisateurs le stade municipal de Ouagadougou pour un concert du reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly et le Centre national des arts, des spectacles et de l'audiovisuel pour une représentation de théâtre. Ensuite, le 12 décembre, un groupe de participants qui entendaient se recueillir sur le lieu du drame du 13 décembre 1998 se sont vus refoulés par la police à l'entrée de la ville Sapouy (à 100 km au sud de Ouaga). Le même jour, une partie de la délégation de Media Foundation for West Africa, conduite par son président, a été refoulée à la frontière entre le Ghana et le Burkina. Le 13, la police a investi le Centre de presse Norbert Zongo, qui sert de secrétariat au festival, et fait de même le lendemain dans la salle retenue pour le colloque, empêchant ainsi les participants de se réunir. Enfin, après toutes ces tracasseries, le festival a été officiellement annulé par les autorités policières.

Les 19 associations présentes, dont Amnesty international et Reporters sans frontières, ont aussitôt adressé une lettre ouverte au président Blaise Compaoré et à son homologue malien Alpha Oumar Konaré en sa qualité de président en exercice de la CEDEAO. Dans cette lettre, elles expriment leur indignation face à « une telle attitude antidémocratique et arbitraire [qui] heurte les traditions d'hospitalité africaine et le respect dû aux morts.» « Nous trouvons étrange qu'un gouvernement qui prône l'Etat de droit cherche, par des agissements cavaliers, à saboter un festival dont l'objectif principal est la promotion des droits humains et la liberté d'expression » affirment les participants désormais contraints à ne discuter qu'entre eux à l'hôtel.



par Alpha  Barry

Article publié le 15/12/2000