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Côte d''Ivoire

Une majorité écrasante privée d'opposition

Le deuxième gouvernement de la deuxième République ivoirienne a vu le jour mercredi soir. Il ressemble presque comme une goutte d'eau au précédent, même si quelques nouveaux visages ont fait leur apparition. Par sa composition et ses équilibres il confirme que la transition politique est désormais close, et que « l'ère de la refondation » a bien sonné. Une majorité à la fois plurielle et écrasante n'aura pas trop de mal à la réaliser, car elle occupe tout le devant de la scène politique, faute de combattants dans les rangs d'une opposition réduite à sa plus simple expression. Alors que la «question nordiste» est loin d'être réglée.
Dix-neuf ministres FPI (le parti du président Gbagbo), cinq du PDCI (l'ex-parti unique de Laurent Fologo), deux du PIT (le parti de gauche de Francis Wodié, allié traditionnel de Gbagbo), et quelques indépendants (plutôt proches du général putschiste Robert Gueï) . Le premier ministre Pascal Affi N'Guessan n'aura pas de mal à poursuivre son travail. Car le PDCI a une fois de plus renoncé à siéger sur les bancs de l'opposition. Traversé par des courants difficilement conciliables, laminé par le départ de l'ancien président Konan Bédié - toujours réfugié à Paris - et le putsch du général Gueï, le parti-Etat cher à Houphouët-Boigny a toujours de la peine à se doter d'une « culture d'opposition ». S'il accepte aujourd'hui de jouer un second rôle, c'est d'abord parce que ses principaux leaders ne peuvent se faire à l'idée de ne pas participer au partage du pouvoir. Même avec l'ennemi historique du « Vieux » comme de « l'houphouëtisme » : le FPI de Laurent Gbagbo.

Il en va de même au sein du RDR (Rassemblement des Républicains) dirigé par Alassane Ouattara - qui séjourne toujours en France : le parti a prôné le boycott, lors des élections législatives, en raison de l'exclusion de son leader ; mais quatre candidats du RDR ont néanmoins été élus, dans le nord du pays. On voit mal comment ils pourraient aujourd'hui jouer les opposants, alors qu'ils sont qualifiés de « traîtres » par les instances dirigeantes du parti. Seront-ils tentés de siéger parmi les indépendants, et se rapprocher eux aussi du pouvoir ?

L'élection, lundi 22 janvier, de l'ancien ministre Mamadou Koulibaly (FPI) à la présidence de l'Assemblée nationale a été l'occasion de mesurer le poids réel de chaque parti. Le FPI a mené la danse et facilement imposé son candidat, parce que le PDCI avait décidé de renoncer à en présenter un, officiellement par « souci de cohésion nationale ». En réalité, le FPI avait réussi à débaucher suffisamment d'indépendants - voire d'élus du PDCI - pour que celui-ci préfère finalement renoncer à une bataille perdue d'avance. Ce qui peut signifier que celle-ci n'est que renvoyée à plus tard.

La « question nordiste » et les étrangers

Mais l'élection au « perchoir » de Mamadou Koulibaly, désormais deuxième personnage de l'Etat ivoirien, permet à Gbagbo d'envoyer un message d'ouverture vis-à-vis du nord du pays, d'où le président de l'Assemblée est originaire. Selon le quotidien (toujours pro-gouvernemental) Fraternité Matin « la géopolitique est respectée » et le gouvernement a bien fait de « montrer aux yeux du monde que contrairement à une idée répandue un ressortissant du nord et musulman bon teint peut accéder à de hautes responsabilités au sein de l'Etat ». Comme du temps du « Vieux », lorsque Ouattara était devenu premier ministre. Mais cela ne veut pas dire que la « question nordiste » soit réglée. D'autant plus qu'elle se confond de plus en plus avec celle des étrangers, originaires le plus souvent du Burkina Faso et du Mali.

Conscient du problème, le nouveau gouvernement pourrait vite tenter de régulariser une situation devenue pour le moins délicate, en raison aussi de l'ingérence des pays voisins concernés, et même du Sénégal d'Abdoulaye Wade.

Des millions de Burkinabés, de Guinéens et de Maliens - mais aussi d'autres pays - vivent depuis des décennies en Côte d'Ivoire. La très grande majorité d'entre eux travaillent, aux côtés des Ivoiriens, et ont contribué à ce qu'on a appelé le « miracle ivoirien ». Il va de soi qu'ils pourraient être définitivement intégrés, à l'occasion de l'adoption d'une nouvelle loi. Mais ceci ne se fera pas dans la facilité. Car, le miracle a fait long feu. De plus figurent parmi eux des étrangers, arrivés tout dernièrement de ces mêmes pays, qui participent souvent aux manifestations (parfois armés) organisées par le RDR d'Ouattara. Lors de la manifestation du RDR à la veille des législatives de décembre, plus de 300 manifestants ont été arrêtés : parmi eux, 110 étaient Ivoiriens, tous les autres étaient Burkinabés, Maliens, Nigériens ou Guinéens.

A cela s'ajoutent les fameux « dozos » : il s'agit de chasseurs traditionnels du nord de la Côte d'Ivoire, qui ont souvent été en charge du gardiennage à Abidjan comme dans d'autres villes. Depuis quelque temps certains d'entre eux sont utilisés par le RDR, qui en a fait son « bras armé » officieux, notamment lors des démonstrations de force avec le pouvoir et les forces de l'ordre. De nombreux Ivoiriens, exaspérés par cette pratique, n'hésitent plus à rendre responsable Ouattara et son parti de l'aggravation de la « question nordiste » et surtout d'avoir « introduit les divisions régionales et religieuses à des fins politiques », selon les termes utilisés par l'un de nos internautes. C'est pour cela aussi que, selon cet Ivoirien, plus de 80% de la population « lui voue une hostilité croissante ».



par Christophe  Champin

Article publié le 25/01/2001