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Congo démocratique

Lusaka 2 : un rendez-vous presque inespéré

Presque tous les protagonistes de la « grande guerre africaine » qui ensanglante depuis de nombreuses années l'Afrique centrale devraient se retrouver ce jeudi à Lusaka (Zambie). Mais ce sommet-bis peut-il accoucher d'un changement profond des rapports de force? Le départ de l'administration Clinton et l'arrivée de celle de George W. Bush, à Washington, mais d'abord l'assassinat de Laurent Désiré Kabila à Kinshasa, ont provoqué, jour après jour, un tremblement de terre diplomatique. Cela pourrait permettre le déblocage du processus de paix engagé à Lusaka en août 1999, mais jamais appliqué sur le terrain.
Officiellement, tous les « parrains » ont exprimé le désir de se désengager d'un bourbier congolais qui leur coûte cher, pour favoriser ce qu'on appelle le « dialogue inter-congolais » entre le gouvernement de Kinshasa d'un côté et de l'autre les deux « coalitions rebelles » qui occupent le nord et l'est du pays. Mais, visiblement, personne ne veut faire le premier pas, de peur que les autres n'en profitent aussitôt. Depuis août 1999 l'intransigeance l'a constamment emporté, tant à Kinshasa, dominée par un autocrate nationaliste (Laurent Kabila) qu'à Kigali ou à Kampala, deux capitales alliées de Bill Clinton. Le départ de celui-ci et la disparition du président congolais ont ôté les deux principaux obstacles. Désormais, l'Ougandais Museveni et surtout le Rwandais Kagamé sont contraints à plus de « realpolitik ».

Le président rwandais en a fait l'amère expérience lors de sa rencontre avec le nouveau secrétaire d'Etat Colin Powell, la semaine dernière à Washington. Il a vite compris que le « moralisme politique » de Clinton, longtemps traumatisé par le génocide rwandais, n'est plus à l'ordre du jour. Pour les nouveaux responsables de la politique étrangère américaine, le retour à la paix dans un pays aussi riche en minerais stratégiques que le Congo démocratique est une priorité absolue. Même si cela peut faire grincer les dents de leurs propres alliés. C'est pour cela que les efforts diplomatiques déployés par l'Europe ( et notamment par la Belgique) aussitôt après la disparition de Laurent Kabila ont été appréciés à Washington, comme dans d'autres capitales occidentales mais aussi africaines.

"Si on règle le problème des milices hutues, on démasque les intérêts du Rwanda"

C'est aussi pour cela que Paul Kagamé pourrait finalement se rendre aux arguments des Etats-Unis et accepter, à contrec£ur, de faire de voyage de Lusaka (ou d'y dépêcher un émissaire). Alors que ses récriminations vis-à-vis de la Zambie sont plus que fondées : de nombreux miliciens hutus interhamwe (alliés de Kinshasa) ont bel et bien trouvé refuge en territoire zambien, ces derniers mois. Mais, il est clair que la priorité, pour Kigali, demeure la sécurité sur sa frontière avec la RDC, pas sur celle avec la Zambie. De même, ce n'est pas la question burundaise qui occupera le devant de la scène diplomatique à Lusaka, car elle a déjà été en grande partie réglée ces derniers mois par des rencontres bilatérales et multilatérales.

La tâche qui incombe au président zambien Frederick Chiluba n'est pas pour autant aisée. Car la question du retrait effectif de toutes les troupes étrangères du Congo est loin d'être réglée. Et l'armée rwandaise se retrouve une fois de plus dans une situation inconfortable, car son allié congolais - les rebelles du RCD-Goma dirigés par Adolphe Onusumba - demeure profondément divisé et semble très faible sur le plan militaire. Lors de la récente bataille de Pweto les combattants congolais engagés des deux côtés du front ont vite pris la poudre d'escampette, et ce sont finalement les armées rwandaise et zimbabwéenne qui se sont disputé cette ville frontalière avec la Zambie. La crise que traverse le RCD-Goma préoccupe d'autant plus Kigali que son allié ougandais peut compter sur une coalition congolaise ( l'UFC) plus structurée et qui semble définitivement rangée derrière Jean-Pierre Bemba, en dépit de l'opposition de Wamba dia Wamba, qui paraît très isolé.

Pour toutes ces raisons, alors que l'armée ougandaise devrait chercher à se désengager au plus vite du nord de la RDC, celle de Kigali ne peut que tenter de jouer la montre, et continuer de demander le désarmement réel des Interhamwe comme préalable à son propre retrait de l'est du Congo. Or, la Belgique et l'UE demandent elles aussi que la question des milices hutues soit réglée au plus vite : « Le seul argument solide des Rwandais est celui de la sécurité, a dit Aldo Ajello, l'envoyé spécial de l'Union européenne. Si on règle (ce problème), on démasque les vrais intérêts des Rwandais. Refuser cela n'est pas une position très brillante, car on donne un alibi aux Rwandais pour rester éternellement » au Congo.

C'est probablement en réglant d'abord la question des Interhamwe que cette longue guerre peut prendre le chemin d'un véritable cessez-le-feu. La conférence de Lusaka devra une fois de plus l'affronter en premier. Mais, cette fois-ci, elle n'aura plus à ménager la susceptibilité et l'intransigeance de Kinshasa ou de Kigali, car le jeune Joseph Kabila, contrairement à son père, parle « d'ouverture » et de « dialogue », et Paul Kagamé peut moins jouer son atout américain. C'est un progrès considérable qui ne devrait pas encore mener à une vraie solution du conflit, mais pour le moins fixer un cadre de discussion et « prendre date » en vue de la réunion du Conseil de Sécurité de l'ONU prévue pour les 21 et 22 février. A cette occasion seulement on saura si les Etats-Unis sont (enfin) déterminés à peser de tout leur poids en faveur de la paix.





par Elio  Comarin

Article publié le 15/02/2001