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Irak

Dialogue de sourds à l'ONU

Pour ses premiers pourparlers avec les Nations Unies depuis deux ans, l'Irak a adopté une posture intransigeante. Le chef de la diplomatie irakienne a exclu un retour des inspecteurs en désarmement, même en cas de levée des sanctions. Il a qualifié de «stupides» les propositions du secrétaire d'Etat américain Colin Powell pour réviser l'embargo, mais s'est dit prêt à poursuivre le dialogue.
De notre correspondant à New York

Kofi Annan n'attendait aucun «miracle», de cette rencontre avec la délégation irakienne, la première depuis plus de deux ans. Le secrétaire général de l'ONU espérait seulement relancer le dialogue, de ce point de vue, il a réussi. La délégation irakienne devrait de nouveau se rendre à New York, dans quelques semaines tout au plus, pour tenter de trouver une issue à l'impasse. C'est certainement la seule concession du ministre irakien des affaires étrangères, qui s'est montré intransigeant sur tout le reste.

Après avoir longuement exposé à Kofi Annan les griefs de l'Irak envers les Nations Unies, Mohamed Saïd al-Sahhaf a levé toute ambiguïté quant aux intentions irakiennes. «Les inspecteurs [chargés par l'ONU de vérifier le désarmement] ne retourneront jamais en Irak, même si les sanctions sont totalement levées», a déclaré le chef de la diplomatie irakienne. L'Irak refusera toute forme de contrôle sur son armement, à moins que tous les Etats de la région ne s'y soumettent, à commencer par «Israël parce qu'ils ont un arsenal atomique». Une fois encore, le ministre tentait de capitaliser sur la solidarité arabe née d'une radicalisation de la question palestinienne.

Ces exigences sont pour l'instant incompatibles avec celles du Conseil de sécurité de l'ONU. Depuis plus de dix ans, il impose un sévère embargo à l'Irak, précisément pour forcer le pays à coopérer avec les inspecteurs de l'ONU, chargés de vérifier sur place si l'Irak s'est défait de ses armes de destruction massive. Les Américains et les Britanniques campaient jusqu'à présent sur cette position, au risque d'apparaître insensibles aux yeux du monde à la détresse du peuple irakien, frappé plus durement que le régime par l'embargo.

«Nous serons accusés de faiblesse», a prédit Colin Powell

Alors que les diplomates irakiens s'expliquaient à l'ONU, le secrétaire d'Etat américain, en pleine tournée au Proche-Orient, entr'ouvrait la porte à un allégement de l'embargo. Colin Powell voudrait lever les mesures qui étouffent les civils irakiens, et renforcer les sanctions à caractère militaire et celles destinées à faire tomber le régime de Saddam Hussein. Plusieurs pays arabes ont selon Powell entériné le projet, qui sera de son propre aveu mal reçu par une partie de l'administration Bush. «Nous serons accusés de faiblesse», a prédit Colin Powell, dans une allusion aux tenants d'une ligne dure qui préconisent d'armer l'opposition irakienne pour venir à bout du régime de Bagdad. Cette tactique aurait notamment les faveurs du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, et du vice-président Dick Cheney.

A sa manière, un peu brutale, le ministre irakien des affaires étrangères leur a donné des munitions. «Nous entendons ces déclarations stupides du secrétaire d'Etat américain parlant de sanctions intelligentes» a ironisé Mohamed Saïd al-Sahhaf, ajoutant un brin condescendant : «j'ai pitié de lui» et qualifiant ses positions «d'imbécillité de propagandiste». Estimant que tout cela ne visait qu'à «tromper l'opinion publique», il a de nouveau réclamé une levée immédiate et sans conditions des sanctions onusiennes, affirmant au passage avoir présenté à Kofi Annan les preuves du désarmement de l'Irak.

Cela dit, le ministre s'est également félicité de sa rencontre avec le secrétaire général, jugeant les discussions «très objectives». Il a admis qu'il fallait désormais suivre «le chemin du dialogue», et a pris rendez-vous pour la suite. Kofi Annan n'avait jusque-là pas de grande marge de man£uvre. Mais il se profile comme un médiateur, entre l'Irak et le Conseil de sécurité, qui doit se mettre d'accord sur une position commune, avant de poursuivre le dialogue.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 28/02/2001