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Balkans

La Macédoine craint le séparatisme albanais

Après les violents affrontements, mercredi 14 mars, entre forces macédoniennes et extrémistes albanais dans le nord du pays, les autorités de Skopje redoutent une extension du sentiment indépendantiste dans la minorité albanophone.
C'est la première fois que l'UCK, l'Armée de libération nationale des Albanais de Macédoine, mène une action d'une telle ampleur. Mercredi, les affrontements très durs entre ses maquisards et les forces de sécurité macédoniennes tout près de Tetovo, une ville de 200 000 habitants au nord-ouest du pays, ont duré toute la journée, faisant une douzaine de blessés côté macédonien. Un civil est mort, atteint par un tireur isolé albanais près d'un poste de police. Ce jeudi, les tirs ont repris, faisant deux blessés. Les maquisards étaient cette fois à la lisière de Tetovo.

Jamais l'UCK ne s'était approchée à ce point d'une grande ville macédonienne. Jamais, non plus, elle n'avait pénétré si profondément à l'intérieur du pays. Le ministre macédonien de l'Intérieur, Dosta Dimovska affirme qu'entre «200 et 250 terroristes albanais, entraînés, se sont infiltrés en Macédoine de la province yougoslave du Kosovo» limitrophe. Cette action d'envergure inquiète d'autant plus les autorités macédoniennes qu'elle semble avoir été planifiée de sorte à coïncider avec une manifestation d'Albanais dans le centre de Tetovo, dont la population est à 80% albanophone. Les premiers coups de feu ont retenti au moment où se rassemblaient quelque 5000 personnes, pour protester «contre la terreur de l'Etat macédonien à l'encontre des Albanais». Très vite, la foule s'est mise à acclamer la guérilla, entonnant des chants nationalistes et scandant le nom de l'UCK à chaque tir entendu au loin. Le rassemblement a dégénéré, une femme et un journaliste macédonien ont été violemment frappés par des manifestants.

«Nous ne sommes pas des terroristes»

Le gouvernement macédonien devait tenir ce jeudi une réunion de crise. La veille, le Premier ministre Ljubco Georgievski disait redouter que les «extrémistes albanais» commencent à se livrer à des «attaques terroristes» à l'intérieur du pays. «Cela nous créerait un problème énorme et nous inquiéterait sérieusement». En conséquence, il «réfléchit à l'introduction de mesures d'exception».
Ljubco Georgievski s'en est pris directement aux voisins de la Macédoine. Il a accusé «certains centres de décision qui, avec la politique de Rugova (le dirigeant kosovar modéré) au Kosovo, fournissent, outre un soutien matériel, un plan concret aux extrémistes albanais». C'est «une politique qui ne reconnaît pas les frontières et qui est la même que celle du parti socialiste d'Albanie» (au pouvoir à Tirana). Toutefois, le Premier ministre a pris soin de saluer l'attitude des partis albanophones de Macédoine, notamment le Parti démocratique albanais (PDA) membre de la coalition gouvernementale, «qui a agi pour trouver une solution». Le chef du gouvernement tient aussi à préciser que la population albanophone du pays «n'est pas d'accord avec l'action des extrémistes».

La réalité semble, cependant, beaucoup moins tranchée. Mardi, à Skopje, 25 000 Albanais ont défilé en faveur des droits de leur minorité, à l'appel du PDA. Une manifestation considérable pour ce pays de 2 millions d'habitants, dont 25 à 30% sont albanais. Cette marche était organisée pour répondre à la situation nouvelle créée par l'apparition de l'UCK, il y a quelques semaines. Elle s'est, certes, déroulée dans le calme, sous des pancartes affirmant «nous ne sommes pas des terroristes» ou «paix et justice». On a pourtant entendu ça et là des slogans à la gloire de l'UCK, vite étouffés néanmoins par le service d'ordre. A l'issue du défilé, le très populaire dirigeant du PDA, Arben Xhaferi, a affirmé que cette manifestation avait pour but de «montrer que les Albanais sont fermement engagés pour la paix. Mais il ne peut y avoir de paix sans justice». Quelques jours plus tôt, il avait estimé que la naissance de cette guérilla s'expliquait par «les discriminations que subissent les Albanais». Ces derniers exigent en particulier plus d'emplois publics, l'usage de leur langue dans l'administration, et un «statut» équivalent à celui des Macédoniens d'origine slave.

A travers ces événements, les Macédoniens voient donc resurgir le spectre de «la Grande Albanie». Cette entité, qui regrouperait les Albanais musulmans du Kosovo, d'Albanie, et de Macédoine, est une revendication que l'Otan est accusée d'avoir mis sur les rails en intervenant en 1999 au Kosovo.
L'Alliance atlantique se veut pourtant consciente du danger. Selon son secrétaire général George Robertson, les extrémistes de l'UCK sont «un petit nombre» et doivent être «isolés. (à) Nous allons maintenir le rôle de l'Otan à la frontière entre la Macédoine et le Kosovo. Les patrouilles ont été augmentées».

L'Otan a également pris une autre mesure pour empêcher les infiltrations de maquisards en Macédoine. Pour la première fois depuis son arrivée au Kosovo en 1999, elle a autorisé l'armée yougoslave à entrer dans le sud de la zone de sécurité qui borde le Kosovo, afin de prévenir les mouvements de la guérilla albanaise sur la frontière serbo-macédonienne. Jeudi après-midi, un responsable de l'Otan a jugé que les autorités macédoniennes avaient «la situation bien en main».




par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 15/03/2001