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Balkans

Une nouvelle guerre a-t-elle commencé à Tetovo ?

Deux mille réfugiés en trois jours de combats, des obus en plein Tetovo, des menaces ahurissantes de l'UCK macédonienne, les « inquiétudes » de l'OSCE et un pays qui devra décréter sous peu l'état d'urgence et la mobilisation générale. La Macédoine subit à son tour les répercussions de « rebellions » albanaises de la région. Alors que l'Otan semble incapable de maîtriser une situation qu'elle a en partie créée, en aidant les différentes « armées » pro-albanaises.
«LµUCK est capable de mettre le feu partout. Le gouvernement macédonien a la tête dure, mais nous n'allons pas nous arrêter. A Tetovo on a voulu prévenir le gouvernement de Skopje. On va continuer de se battre de tous les côtés, et si les Macédoniens lancent une offensive quelque part, ça explosera ailleurs », c'est-à-dire dans la région de Kumanovo . Les menaces des combattants de l'Armée de libération nationale des Albanais de Macédoine ne peuvent probablement pas être prises au pied de la lettre ; mais, incontestablement, le printemps 2001 ressemble à ceux qui l'ont précédé et, dans les Balkans, les collines boisées retrouvent leur feuillage et leurs maquisards. Mais, cela ne relève pas uniquement du changement de saison.

Après trois jours d'intenses combats dans les faubourgs de Tetovo - une ville de 200 000 habitants, à 80% Albanais - entre des « terroristes » albanais et les forces gouvernementales macédoniennes, sous le regard pas très lointain des forces de l'OTAN ( et surtout des Etats-Unis), une question revient à l'esprit : s'agit-il du début de la cinquième guerre balkanique, en dix ans ? Et, si oui, que peut faire la «communauté internationale » ? Est-elle une fois de plus prise à son propre piège, prisonnière de ses contradictions ? De nombreux observateurs soulignent que les forces armées américaines sont présentes en Macédoine depuis sa naissance, en 1991, justement pour préserver l'équilibre fragile entre deux tiers de Slaves Macédoniens (partagés entre pro-serbes et pro-bulgares) et un tiers d'Albanais.

D'autres observateurs, européens pour la plupart, échaudés par l'amère expérience de la guerre du Kosovo et ce qu'il appelle « l'arrogance américaine », semblent décidés à moins cacher leur divergence de fonds avec les Etats-Unis. Si l'on croit des responsables du Jane's, il est désormais probable que le dernier « cadeau empoisonné » laissé par l'administration Clinton embrase une nouvelle fois la zone la plus exposée de l'Europe : les Balkans. Selon eux, tout au long du dernier hiver, les guérillas albanaises du sud de la Serbie (UCPMB) et du nord-ouest de la Macédoine (UCK-M) ont été massivement aidées, notamment au niveau de l'armement lourd, par la CIA et la KFOR, qui ont sciemment fermé les yeux sur les camps d'entraînement et sur tous les trafics, en armes comme en combattants, qui ont été « observés » ces derniers mois à cheval d'une frontière parmi les plus poreuses : celle qui sépare l'Albanie (devenue une vraie succursale de l'OTAN) et l'ex-Yougoslavie, tout autour du Kosovo, une province administrée par l'ONU.

La CIA et la KFOR ont fermé les yeux sur l'UCK

L'histoire semble une fois de plus bégayer. Après avoir financé l'essentiel de l'UCK (Armée de libération nationale) du Kosovo, dirigée par un jeune inconnu au passé marxiste-léniniste, Hashim Thaçi, l'administration américaine a entrepris la même démarche sur les deux autres « guérillas s£urs », engagées dans le rêve d'une « Grande Albanie » : celle du sud de la Serbie (dans la vallée du Presevo) et celle de Macédoine (au nord de la ville de Tetovo). Selon différentes sources diplomatiques et militaires, citées récemment par The Observer, Washington a d'abord mis sur pied la guérilla albanaise du sud de la Serbie dans le but d'affaiblir Slobodan Milosevic, après deux mois de bombardements aériens qui se sont révélés incapables de le déloger de Belgrade. Sans prévoir l'arrivée au pouvoir de Vojislav Kostunica, un démocrate nationaliste qui devient peu à peu incontournable dans la région, en dépit de son nationalisme intransigeant, et ce d'autant plus qu'il vient d µenregistrer la convergence de facto, sur la question albanaise, de tous les pays de la région : la Serbie, la Macédoine, la Bulgarie et la Grèce.

Ces derniers jours, on a même enregistré la mise en place d'une sorte de coordination entre les états-majors des armées de ces quatre pays du monde orthodoxe. Ce qui, au vu de l'histoire, relève presque du miracle balkanique. Ils sont tous directement concernés par le rêve de la « Grande Albanie » entretenu en Albanie même (surtout du côté de l'ex-président Sali Berisha) et par les Albanais de tous les pays voisins. Mais ils ont aussi un autre « ennemi héréditaire » commun: le monde turc et islamiste. Ils craignent notamment qu'une sorte de « bande verte » allant de Bihac (Croatie) à Istanbul (Turquie) - et passant par la Bosnie, le Monténégro, le Sandjak, le Kosovo, la Macédoine « historique » et la partie européenne de la Turquie - ne s'installe au c£ur des Balkans et de l'Orthodoxie. Ce qui n'est sans doute pas à l'ordre du jour. Mais l'histoire récente du Kosovo nous apprend que rien ne peut être prévu ni exclu, ici moins qu'ailleurs. Et ce d'autant plus que l'Union européenne n'est toujours pas dotée d'un outil diplomatique et militaire commun, capable de pallier les carences manifestes et les contradictions de l'OTAN.

Son secrétaire général, George Robertson, affirmé vendredi 16 mars à Athènes que l'Alliance atlantique ne permettrait pas un « petit nombre d'extrémistes » de déstabiliser la Macédoine. Et pourtant, ces « extrémistes » n'ont apparemment pas pu lancer leur « campagne de printemps » sans l'aval de facto des forces occidentales présentes en Macédoine depuis dix ans. Cette contradiction a d'ores et déjà provoqué des remous entre les différents pays membres de l'Alliance, même si cela n'apparaît pas à l'extérieur des états-majors. « La CIA a même été autorisé à provoquer une révolte au Kosovo via une milice privée, dans le but de provoquer la chute de Milosevic, a dit un officier de la KFOR, sous le sceau de l'anonymat. Maintenant qu'il est parti, le Département d'Etat semble incapable de contrôler cette armée de bâtards ».

Interrogée sur cette question, l'administration Bush n'a pas manqué d'en imputer la responsabilité à l'administration précédente. Tout en ajoutant que, désormais, elle a opté pour un « changement de priorité », qui passe vraisemblablement par une sorte de désengagement progressif des Etats-Unis. Comme en Bosnie. Et Bush de rappeler que « l'entreprise de déstabilisation des rebelles albanais » a été condamnée « avec énergie », par le Conseil de sécurité de l'ONU. N'empêche que le « monstre » engendré il y a peu par les Occidentaux a d'ores et déjà « fait des petits », a fait remarquer un autre officier européen. Dans un contexte clanique et mafieux qui a d'ores et déjà hypothéqué l'avenir du Kosovo. Au point que l'écrivain albanais le plus connu, Ismaïl Kadaré, autrefois proche de l'UCK, qualifie désormais l'évolution en cours de « suicide albanais ».



par Elio  Comarin

Article publié le 16/03/2001