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Côte d''Ivoire

La trêve des urnes

Pour la première fois depuis cinq mois, le président Gbagbo et l'ex-premier ministre Ouattara se sont rencontrés dimanche et lundi à Lomé, pour mettre un terme à leurs querelles. Une semaine à peine avant la tenue des élections municipales de dimanche prochain, un scrutin qui marque le retour du RDR dans le jeu électoral ivoirien.
Sur le chemin de retour du Nigéria, le président ivoirien Laurent Gbagbo a fait une escale inattendue à Lomé, pour y rencontrer son «ennemi» politique : le leader du RDR (Rassemblement des Républicains) Alassane Ouattara. Dimanche et lundi, à l'occasion de deux longs entretiens, les deux personnages politiques ivoiriens ont sans doute privilégié l'explication franche, sinon musclée. Et ce d'autant plus qu'ils se connaissent très bien, et ont même été alliés de circonstances, au lendemain de la disparition de Félix Houphouët-Boigny, lorsqu'ils se sont engagés ensemble dans une longue opposition au successeur désigné : Henri Konan Bédié.

Le riche notable du Nord proche des milieux financiers internationaux et l'ancien opposant socialiste de l'Ouest élu président en octobre dernier se sont officiellement prononcés pour la «réconciliation et l'apaisement». De son côté Ouattara a exprimé «son adhésion à la politique de réconciliation prônée par le président Gbagbo et réitéré son entière disponibilité à oeuvrer dans le sens de la consolidation de la concorde, de la paix et de la réconciliation en Côte d'Ivoire». Gbagbo a pour sa part souligné que «sa présente rencontre avec Alassane Ouattara témoigne de sa volonté de réconciliation et d'apaisement de la vie politique ivoirienne». Quant au général Eyadéma, qui a organisé cette rencontre spectaculaire, il a «invité l'ensemble des leaders politiques à privilégier l'intérêt national au détriment de l'intérêt partisan et personnel».

Un match à trois ?

Toutes ces prises de position sont très conventionnelles, mais le simple fait que les deux leaders politiques ivoiriens se soient rencontrés, à une semaine seulement des élections municipales - qui doivent clore une «transition» bien difficile et parsemée d'affrontements sanglants -, a été unanimement salué à Abidjan comme dans les autres capitales de la région. Elles indiquent aussi que l'enjeu réel d'une telle rencontre a été une sorte de «réhabilitation» de Ouattara, qui avait été exclu des présidentielles comme des législatives, à cause de sa «nationalité douteuse». Ouattara devrait donc retrouver tous ses droits politiques, son parti sa légitimité, et la plupart de ses responsables en détention le chemin de la liberté.

Quelques jours avant ce «sommet de la réconciliation» Gbagbo avait annoncé qu'il s'apprêtait à accorder la grâce présidentielle aux militaires impliqués dans l'attaque de la résidence du général Robert Gueï, récemment condamnés par un tribunal militaire. Ce qui ne pouvait que réduire la tension entre les deux hommes et les deux partis politiques : le RDR d'un côté et le FPI du président Gbagbo, qui, aux côtés du PDCI de Laurent Dona Fologo, se disputent dimanche prochain les 196 circonscriptions municipales ivoiriennes.

Pour cela, les deux leaders ont dû faire des concession. Gbagbo n'étant pas disposé à revenir sur sa propre élection, Ouattara se voit ainsi contraint de renoncer à sa principale revendication (de nouvelles élections) et d'accepter un verdict qui a du mal à passer. Mais Gbagbo doit en faire autant, et ranger dans un placard le slogan privilégié de son parti: TSO, soit «Tout Sauf Ouattara». Il en a déjà pris le chemin, en demandant à la nouvelle Cour suprême de réexaminer le cas de son principal opposant, en vue d'une réelle « réhabilitation politique » du leader nordiste. Celui-ci ira-t-il jusqu'à mettre une sourdine à ses « activités déstabilisatrices » depuis l'étranger, que régulièrement Gbagbo lui reproche ? La dernière en date des tentatives de putsch - celle des 7 et 8 janvier derniers - avait confirmé l'implication du Burkina Faso, l'amateurisme de ses auteurs et de leurs complices (souvent étrangers) mais aussi la fragilité du régime. Des constats qui devraient faire réfléchir le président Gbagbo autant que l'ex-premier ministre Ouattara. Et qui ont vraisemblablement persuadé les deux «ennemis» de signer une sorte de trêve électorale. Jusqu'à lundi prochain seulement ?

Le rendez-vous des municipales devrait permettre - enfin - aux différents partis politiques ivoiriens de se compter dans les urnes, sans s'affronter dans la rue. Elles devraient nous donner des indications précises concernant le poids politique réel des trois principales formations (FPI, RDR et PDCI). Jusque là, l'absence (forcée ou volontaire) du RDR de la compétition avait permis à celui-ci de dire qu'il était le premier parti du pays. Et même d'ajouter que le FPI et Gbagbo avaient tout fait pour l'écarter du scrutin législatif, de peur d'être battus.

Ce match politique à trois ne manque pas de piment et passionnera sans aucun doute les Ivoiriens. A condition que le résultat ne soit pas contesté par les (mauvais) perdants.



par Elio  Comarin

Article publié le 19/03/2001