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Iran

«<i>Un fossé entre les classes sociales</i>»

Eric Butel, anthropologue au CNRS spécialiste de l'Iran : «La guerre a creusé le fossé entre les différentes classes sociales»
RFI : Qui étaient les bassidji et comment étaient-ils recrutés ?
E.B.
: Au cours des deux décennies qui précèdent la guerre, la population iranienne double. Les jeunes, issus des années pétrole de l'époque impériale, s'engagent massivement dans la révolution de 1979. Lorsque la guerre éclate un an après, ils s'y rendent également en grand nombre. La révolution ayant accordé un pouvoir important aux mollahs, c'est autour de la mosquée que s'organise la mobilisation. On y stocke des armes, on vient y prendre des consignes et dès l'âge de 12 ans, les enfants participent à des opérations de répression dans leur quartier, ce qui les prépare au départ sur le front.

RFI : Quel est aujourd'hui le statut des bassidji ?
E.B.
: Les bassidji viennent en grande partie des classes inférieures de la société. Ils admirent l'Imam, son courage et son charisme. Cette allégeance faite au régime à travers l'engagement dans la guerre leur a permis, pour beaucoup, de gravir rapidement les échelons de la nouvelle société. Mais cette promotion subite a suscité la haine des classes moyennes qui, pour la plupart, avaient tout fait pour éviter que leurs enfants ne partent sur le front. Elles accusent maintenant les bassidji de les avoir en quelque sorte dépassées en biaisant avec les règles ordinaires d'ascension sociale.

RFI : Les bassidji et les familles des martyrs sont-ils pour autant satisfaits de ce statut ?
E.B.
: Non. Ils vivent souvent dans une grande détresse et sont désorientés. Beaucoup de familles de martyr pensent avoir perdu leurs fils pour rien. Cette guerre n'a en effet pas fait progresser les choses : ni sur le terrain géographique, puisqu'il n'y a eu aucun gain territorial, ni sur le terrain de la justice sociale. Elles sont également choquées de l'exploitation politique forcenée qui est faite du martyr, alors que les pauvres sont toujours aussi pauvres et les nouveaux riches encore plus riches. La jeune génération, quant à elle, ne veut plus entendre parler de la guerre. Elle veut du travail, des loisirs et une société plus ouverte.



par Propos recueillis par Estelle  Nouel

Article publié le 04/04/2001