Iran
L'amertume des <i>bassidji</i>
Pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), plus d'un million de volontaires iraniens ont combattu aux côtés de l'armée régulière et de l'armée des Gardiens de la Révolution. Ceux que l'on a baptisé les «bassidji» n'ont pas tous réussi à se réinsérer dans la société et menacent aujourd'hui les bases du régime de l'ayatollah Khamenei.
De notre envoyée spéciale en Iran
Comme chaque année depuis 18 ans, Abbas se rend avec sa famille au cimetière de Behesht-e-Zahrâ, situé au sud de Téhéran. Après une visite au mausolée de l'Imam Khomeini, il se recueille sur la tombe de son frère, Ali, tué lors de la guerre Iran-Irak. «Il n'avait que 20 ans. Mais je pense qu'il a fait le bon choix. Il est parti en tant que volontaire pour défendre son pays et sa religion». Abbas, frère de martyr, occupe un poste important au ministère de la Communication et est un fervent partisan de l'Imam. Il est l'un de ces privilégiés pour qui la guerre a été un moyen d'ascension sociale. Mais pour la majorité des combattants volontaires (bassidji), le retour à la vie civile a eu un goût amer.
En septembre 1980, les forces irakiennes lancent l'offensive et pénètrent en Iran. L'armée régulière, moderne et performante, devrait être la première à partir sur le front. Mais elle est d'emblée tenue en suspicion par les révolutionnaires qui l'accusent d'avoir soutenu le régime du Chah. L'Imam en appelle alors à de nouvelles forces pour répondre à l'agression irakienne : l'armée des Gardiens de la révolution et les bassidji. Ces derniers, mal équipés, ouvrent la plupart du temps la voie aux troupes professionnelles lors des opérations lourdes et servent de véritable chair à canon. L'Irak ayant acquis au cours de la guerre cinq fois plus d'armement, l'Iran compense cette disproportion technique par un engagement humain important. Les bassidji, fiers de défendre leur nation et l'islam révolutionnaire, fournissent des vagues renouvelées de combattants. Progressivement, les anciens combattants participent à la construction du nouvel Etat (la révolution a tout juste un an quand commence la guerre). Ils occupent des postes dans les ministères ou dans de nouveaux organismes comme la Fondation des Déshérités, héritière des biens de la famille royale. Ils font d'énormes profits autour des ventes d'armes et d'équipements.
Le dificile reclassement des mobilisés
En août 1988, après huit ans de guerre, le cessez-le-feu est proclamé. La plupart des anciens combattants subissent de plein fouet la crise économique et le chômage. «Les combats ont eu lieu dans les zones pétrolifères du pays. Or, l'Iran puisait 80% de ses ressources dans le pétrole. L'économie a plongé» précise Eric Butel, anthropologue au CNRS monde iranien.
Le régime tente bien de reclasser les démobilisés dans des fondations comme la Croisade pour la reconstruction ou de les affecter à des tâches de maintien de l'ordre social mais les possibilités de réinsertion s'avèrent relativement faibles. Quant aux avantages en nature qui leur sont concédés (logement, voiture, frigidaire), ils ne compensent aucunement leur sentiment d'amertume. «Aujourd'hui, les bassidji regardent en arrière et que voient-ils ? Ils sont partis se battre pour un idéal, un islam révolutionnaire qui devait réduire les injustices. Or, ils se rendent compte que la société est plus corrompue que jamais» explique Eric Butel. Et de conclure : «La guerre a sans doute prolongé la survie du régime et permis aux partisans de l'Imam de s'appuyer sur une véritable base populaire. Plus on s'éloigne de la guerre et plus cette base s'effrite. Le régime n'a aucune alternative à proposer à une société qui a un réel besoin d'air».
Abbas, lui, quitte le cimetière à la tombée de la nuit. Demain, il sera aux premières loges pour fêter le 22ème anniversaire de l'instauration de la république islamique d'Iran.
Comme chaque année depuis 18 ans, Abbas se rend avec sa famille au cimetière de Behesht-e-Zahrâ, situé au sud de Téhéran. Après une visite au mausolée de l'Imam Khomeini, il se recueille sur la tombe de son frère, Ali, tué lors de la guerre Iran-Irak. «Il n'avait que 20 ans. Mais je pense qu'il a fait le bon choix. Il est parti en tant que volontaire pour défendre son pays et sa religion». Abbas, frère de martyr, occupe un poste important au ministère de la Communication et est un fervent partisan de l'Imam. Il est l'un de ces privilégiés pour qui la guerre a été un moyen d'ascension sociale. Mais pour la majorité des combattants volontaires (bassidji), le retour à la vie civile a eu un goût amer.
En septembre 1980, les forces irakiennes lancent l'offensive et pénètrent en Iran. L'armée régulière, moderne et performante, devrait être la première à partir sur le front. Mais elle est d'emblée tenue en suspicion par les révolutionnaires qui l'accusent d'avoir soutenu le régime du Chah. L'Imam en appelle alors à de nouvelles forces pour répondre à l'agression irakienne : l'armée des Gardiens de la révolution et les bassidji. Ces derniers, mal équipés, ouvrent la plupart du temps la voie aux troupes professionnelles lors des opérations lourdes et servent de véritable chair à canon. L'Irak ayant acquis au cours de la guerre cinq fois plus d'armement, l'Iran compense cette disproportion technique par un engagement humain important. Les bassidji, fiers de défendre leur nation et l'islam révolutionnaire, fournissent des vagues renouvelées de combattants. Progressivement, les anciens combattants participent à la construction du nouvel Etat (la révolution a tout juste un an quand commence la guerre). Ils occupent des postes dans les ministères ou dans de nouveaux organismes comme la Fondation des Déshérités, héritière des biens de la famille royale. Ils font d'énormes profits autour des ventes d'armes et d'équipements.
Le dificile reclassement des mobilisés
En août 1988, après huit ans de guerre, le cessez-le-feu est proclamé. La plupart des anciens combattants subissent de plein fouet la crise économique et le chômage. «Les combats ont eu lieu dans les zones pétrolifères du pays. Or, l'Iran puisait 80% de ses ressources dans le pétrole. L'économie a plongé» précise Eric Butel, anthropologue au CNRS monde iranien.
Le régime tente bien de reclasser les démobilisés dans des fondations comme la Croisade pour la reconstruction ou de les affecter à des tâches de maintien de l'ordre social mais les possibilités de réinsertion s'avèrent relativement faibles. Quant aux avantages en nature qui leur sont concédés (logement, voiture, frigidaire), ils ne compensent aucunement leur sentiment d'amertume. «Aujourd'hui, les bassidji regardent en arrière et que voient-ils ? Ils sont partis se battre pour un idéal, un islam révolutionnaire qui devait réduire les injustices. Or, ils se rendent compte que la société est plus corrompue que jamais» explique Eric Butel. Et de conclure : «La guerre a sans doute prolongé la survie du régime et permis aux partisans de l'Imam de s'appuyer sur une véritable base populaire. Plus on s'éloigne de la guerre et plus cette base s'effrite. Le régime n'a aucune alternative à proposer à une société qui a un réel besoin d'air».
Abbas, lui, quitte le cimetière à la tombée de la nuit. Demain, il sera aux premières loges pour fêter le 22ème anniversaire de l'instauration de la république islamique d'Iran.
par Estelle Nouel
Article publié le 04/04/2001