Balkans
L'homme pressé du Monténégro en panne de stratégie
Après les élections législatives de dimanche qui ont placé son parti à égalité avec le mouvement pro-serbe, Milo Djukanovic se trouve à la croisée des chemins: engager le Monténégro sur la voie risquée de l'indépendance ou faire machine arrière et renouer des liens avec Belgrade.
De notre correspondant dans les Balkans
C'est l'histoire d'un jeune homme brillant et pressé. Premier ministre du Monténégro à 26 ans, président de la République à 33, Milo Djukanovic a construit sa carrière politique sans s'embarrasser de trop de scrupules. Militant des jeunesses communistes lorsqu'il était censé étudier l'économie à l'université de Niksic, il est choisi par Slobodan Milosevic pour remplacer l'ancienne équipe dirigeante communiste monténégrine, avec son grand ami d'alors, Momir Bulatovic, de quelques années son aîné. Le tandem est efficace: alors que Momir Bulatovic est issu d'une famille «blanche» pro-serbe, Milo Djukanovic descend d'une lignée «verte», monténégrine, des environs de Cetinje.
Milo Djukanovic resta fidèle au maître de Belgrade jusqu'au milieu des années 1990, lorsqu'il comprit que l'avenir de son pays et sa propre carrière politique passait par une rupture avec le régime de Slobodan Milosevic. En 1997, Milo Djukanovic abandonne Momir Bulatovic et ses mentors de Belgrade, entraînant avec lui la majorité de l'appareil du Parti démocratique des socialistes (DPS), l'ancien Parti communiste monténégrin.
En octobre 1997, Djukanovic remporte une élection présidentielle très serrée, et le DPS réformé triomphe du SNP formé par Momir Bulatovic. Les bombardements de l'Otan, au printemps 1999, n'altèrent pas le virage pro-occidental choisi par Milo Djukanovic. Au contraire, le Monténégro bénéficie d'aides européennes et américaines massives, et les chancelleries se disputent Milo Djukanovic qui, sans avoir jamais appris aucune langue étrangère, excelle à se poser sur la scène internationale comme le seul rival sérieux de Slobodan Milosevic. La stratégie monténégrine associe toujours l'affirmation de l'identité spécifique du petit pays avec le combat pour une réforme démocratique de la Fédération.
La fuite en avant vers l'indépendance
Milo Djukanovic semble pourtant en panne de stratégie depuis la victoire de Vojislav Kostunica à Belgrade, le 5 octobre dernier. Les Monténégrins avaient boycotté le scrutin fédéral, croyant comme beaucoup que rien ni personne ne pourrait battre Slobodan Milosevic. Vojislav Kostunica et les démocrates de Belgrade ne sont pas décidés à pardonner la «trahison» des Monténégrins, et Milo Djukanovic ne semble pas avoir d'autre choix que la fuite en avant vers l'indépendance, au risque de ne pas être suivie par une partie importante de la population. L'attitude de la communauté internationale change aussi du tout au tout envers le Monténégro, devenu le mouton noir qui refuse de se rallier au panache de Vojislav Kostunica.
Pour se sortir de la mauvaise passe des élections législatives de dimanche, Milo Djukanovic n'envisage pas de faire amende honorable et de tenter de trouver un compromis acceptable avec Belgrade. Il semble même s'en tenir à l'objectif d'un référendum et s'apprête à faire alliance avec les Libéraux, partisans inconditionnels de l'indépendance monténégrine, au risque de durcir son opposition avec la communauté internationale.
Deux mauvaises affaires pourraient pourtant être rappelées à la mémoire du président monténégrin. A l'automne 1991, la vieille ville dalmate de Dubrovnik est bombardée depuis le territoire monténégrin, et ce sont des appelés, des réservistes et des miliciens monténégrins qui donnent l'assaut à la cité classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Le tribunal pénal international de La Haye garde toujours sous le coude des accusations contre les dirigeants monténégrins soupçonnés d'avoir cautionné les opérations contre Dubrovnik.
Durant les années de la guerre de Bosnie, de 1992 à 1995, la Yougoslavie est sous embargo, et les monténégrins font des «affaires». Toute la question est de savoir si les dirigeants de Podgorica ont jamais véritablement rompu avec ces activités illégales, notamment avec le trafic de cigarettes. Plusieurs figures importantes de la Sacra Corona Unita, la mafia des Pouilles italiennes résident au Monténégro, et jouissent d'une protection directe du Président monténégrin.
C'est l'histoire d'un jeune homme brillant et pressé. Premier ministre du Monténégro à 26 ans, président de la République à 33, Milo Djukanovic a construit sa carrière politique sans s'embarrasser de trop de scrupules. Militant des jeunesses communistes lorsqu'il était censé étudier l'économie à l'université de Niksic, il est choisi par Slobodan Milosevic pour remplacer l'ancienne équipe dirigeante communiste monténégrine, avec son grand ami d'alors, Momir Bulatovic, de quelques années son aîné. Le tandem est efficace: alors que Momir Bulatovic est issu d'une famille «blanche» pro-serbe, Milo Djukanovic descend d'une lignée «verte», monténégrine, des environs de Cetinje.
Milo Djukanovic resta fidèle au maître de Belgrade jusqu'au milieu des années 1990, lorsqu'il comprit que l'avenir de son pays et sa propre carrière politique passait par une rupture avec le régime de Slobodan Milosevic. En 1997, Milo Djukanovic abandonne Momir Bulatovic et ses mentors de Belgrade, entraînant avec lui la majorité de l'appareil du Parti démocratique des socialistes (DPS), l'ancien Parti communiste monténégrin.
En octobre 1997, Djukanovic remporte une élection présidentielle très serrée, et le DPS réformé triomphe du SNP formé par Momir Bulatovic. Les bombardements de l'Otan, au printemps 1999, n'altèrent pas le virage pro-occidental choisi par Milo Djukanovic. Au contraire, le Monténégro bénéficie d'aides européennes et américaines massives, et les chancelleries se disputent Milo Djukanovic qui, sans avoir jamais appris aucune langue étrangère, excelle à se poser sur la scène internationale comme le seul rival sérieux de Slobodan Milosevic. La stratégie monténégrine associe toujours l'affirmation de l'identité spécifique du petit pays avec le combat pour une réforme démocratique de la Fédération.
La fuite en avant vers l'indépendance
Milo Djukanovic semble pourtant en panne de stratégie depuis la victoire de Vojislav Kostunica à Belgrade, le 5 octobre dernier. Les Monténégrins avaient boycotté le scrutin fédéral, croyant comme beaucoup que rien ni personne ne pourrait battre Slobodan Milosevic. Vojislav Kostunica et les démocrates de Belgrade ne sont pas décidés à pardonner la «trahison» des Monténégrins, et Milo Djukanovic ne semble pas avoir d'autre choix que la fuite en avant vers l'indépendance, au risque de ne pas être suivie par une partie importante de la population. L'attitude de la communauté internationale change aussi du tout au tout envers le Monténégro, devenu le mouton noir qui refuse de se rallier au panache de Vojislav Kostunica.
Pour se sortir de la mauvaise passe des élections législatives de dimanche, Milo Djukanovic n'envisage pas de faire amende honorable et de tenter de trouver un compromis acceptable avec Belgrade. Il semble même s'en tenir à l'objectif d'un référendum et s'apprête à faire alliance avec les Libéraux, partisans inconditionnels de l'indépendance monténégrine, au risque de durcir son opposition avec la communauté internationale.
Deux mauvaises affaires pourraient pourtant être rappelées à la mémoire du président monténégrin. A l'automne 1991, la vieille ville dalmate de Dubrovnik est bombardée depuis le territoire monténégrin, et ce sont des appelés, des réservistes et des miliciens monténégrins qui donnent l'assaut à la cité classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Le tribunal pénal international de La Haye garde toujours sous le coude des accusations contre les dirigeants monténégrins soupçonnés d'avoir cautionné les opérations contre Dubrovnik.
Durant les années de la guerre de Bosnie, de 1992 à 1995, la Yougoslavie est sous embargo, et les monténégrins font des «affaires». Toute la question est de savoir si les dirigeants de Podgorica ont jamais véritablement rompu avec ces activités illégales, notamment avec le trafic de cigarettes. Plusieurs figures importantes de la Sacra Corona Unita, la mafia des Pouilles italiennes résident au Monténégro, et jouissent d'une protection directe du Président monténégrin.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 25/04/2001