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Balkans

Macédoine : la drôle de guerre de Kumanovo

Alors que le principal parti albanais d'opposition vient d'accepter de rejoindre le gouvernement d'union nationale en Macédoine, la ville de Kumanovo (au nord) vit sous tension en lisière de la zone bombardée ces derniers jours par l'armée macédonienne qui pourchasse les rebelles albanais de l'UCK.
De notre envoyé spécial en Macédoine

Kumanovo essaie de reprendre un visage presque normal après l'offensive lancée par l'armée contre les villages des où se sont retranchés les rebelles albanais de l'UCK. Dans cette grande ville de 130000 habitants, à trente kilomètres de Skopje, et à quelques kilomètres seulement des frontières du Kosovo et de la Serbie, il n'est pas difficile aujourd'hui de reconnaître les commerces albanais: ils restent fermés, depuis le début des bombardements contre les villages, il y a une semaine.

Aux sorties de la ville, quelques herses et des panneaux de stop gardés par la police signalent le début de la zone interdite. Ici, les cafés et les commerces ont tous tiré leur grille. Macédoniens, Albanais, Serbes, Turcs et Roms cohabitent à Kumanovo, mais ne se fréquentent pas. L'importance exacte de chacune communauté est, comme partout en Macédoine, le premier objet de la polémique, car les Albanais prétendent avoir été sous-évalués lors du recensement, mais en ville, les Macédoniens représentent une nette majorité, tandis que les villages sont majoritairement albanais.

«Nous avons peur, peur de sortir dans la ville», explique Afrim, un professeur albanais de physique du lycée de la ville. Pourtant, depuis que les affrontements ont commencé, on ne signale aucun excès de la police en ville, mais les différentes communautés nationales de Kumanovo vivent dans la psychose de la guerre civile.

Les différentes communautés se côtoient mais ne se parlent pas

Depuis que les combats ont commencé, les cours ont cessé dans la filière albanaise du lycée, car beaucoup d'élèves et d'enseignants qui venaient des villages ne peuvent plus se déplacer. Afrim, qui habite en ville, se rend pourtant chaque jour au lycée: «je dis bonjour aux collègues Macédoniens, mais rien de plus. Je n'ai rien à leur dire. Nous ne nous parlons pas depuis des années». Le système scolaire macédonien prévoit deux cursus d'enseignement, en langue macédonienne ou en langue albanaise. Les bâtiments sont souvent partagés, mais une rigoureuse séparation est de règle entre les deux communautés. Pourtant, Afrim estime que les relations entre les gens peuvent rester correctes. «Nous n'avons rien contre les Macédoniens, nous en avons contre ce gouvernement qui nous trompe depuis des années, en promettant une égalité de droits qui ne vient jamais». Les partis politiques qui siègent au gouvernement du pays ? Afrim ne veut plus entendre parler : «ils sont corrompus, ils ont été achetés par le pouvoir». Pourtant, ajoute-t-il, «les revendications de la guérilla et celles des deux partis albanais sont les mêmes: obtenir une complète égalité de droits entre les Macédoniens et les Albanais. Puisque la voie politique n'a rien donné, l'UCK a sûrement eu raison de prendre les armes».

A propos du gouvernement d'union nationale en cours de formation, Afrim est catégorique: «il ne peut pas y avoir d'union nationale quand l'armée bombarde les citoyens de son propre pays». A Kumanovo, l'attitude de fermeté du Parti de la prospérité démocratique (PPD) semble largement comprise. Ce parti albanais d'opposition refusait jusqu'à ces dernières heures de s'engager dans une large coalition gouvernementale. «Nous ne savons même pas ce qui se passe exactement dans les villages bombardés, les gens sont enfermés dans les caves depuis une semaine, et les Macédoniens en ont même interdit l'accès aux organisations humanitaire !» Afrim s'attache à démentir le gouvernement macédonien qui prétend que des civils seront bloqués contre leur gré par l'UCK afin de servir de «boucliers humains». Pourtant, il veut bien reconnaître qu'à l'intérieur même de la ville, la police secrète de la guérilla surveille les propos et les agissements de tous les Albanais. «Il faut bien se protéger des collaborateurs et des informateurs de la police», tente-t-il de justifier.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 11/05/2001