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Algérie

Bouteflika survivra-t-il au «<i>printemps d'Alger</i>» ?

Au lendemain de la manifestation historique du 14 juin le président Bouteflika paraît dépassé. Son sort dépend tout autant des généraux qui l'ont mis au pouvoir que des jeunes qui ont été empêchés de le conspuer.
Alger a vite retrouvé son visage habituel, ce vendredi matin, au lendemain d'une «marche pour la démocratie» historique qui s'est transformée en violente émeute dès la mi-journée, lorsque les forces de l'ordre ont littéralement pris d'assaut les manifestants de la Place du 1er Mai. La télévision algérienne, n'a montré que des images des dégâts provoqués la veille. Pas les foules. Les balayeurs étaient à pied d'£uvre dès l'aube et les électriciens ont vite remplacé les boules des lampadaires de la rue Didouche Mourad et les enseignes arrachées ou brisées du centre ville. Près du port et sur la route du front de mer les traces de l'émeute ont été effacées, les carcasses de voitures calcinées enlevées. Alger a ainsi retrouvé un semblant de calme, même si des manifestations sporadiques étaient signalées, notamment près de la casbah.

Le pouvoir militaire a apparemment gagné son pari. Son ordre a été respecté. Le palais présidentiel n'a pas été atteint par les centaines de milliers de manifestants. Le président n'a pas été conspué ou traité de «fantoche». Mais Abdelaziz Bouteflika apparaît plus qu'en sursis. Il est ittéralement - et même physiquement - prisonnier d'un régime militaire qui n'a jamais osé s'afficher ouvertement, préférant tirer toutes les ficelles du pouvoir réel à l'ombre d'un président fantôme qui n'a même pas cru opportun (ou pu) prendre la parole.

Le «printemps berbère» évolue en «printemps algérien»

Retranché dans son palais, Abdelaziz Bouteflika n'a pas pu prendre officiellement connaissance de la plate-forme mise au point, non sans difficultés, ces dernières semaines par la coordination des «archs» (pouvoir traditionnel en Kabylie), à Tizi Ouzou. Elle tient en deux mots : identité et liberté. Car, et c'est sans doute ce qui effraie le plus le régime militaire algérien, le «printemps berbère» est en train de devenir jour après jour un «printemps algérien», même si, pour le moment, peu de manifestations ont été enregistrées à l'ouest du pays.

Mais ce qui inquiète aussi le pouvoir en place depuis la révolte sanglante de 1988 (500 morts) c'est que, cette fois-ci, il a en face un mouvement dont les organisateurs réels ne sont pas visibles ni véritablement connus. Comme si eux aussi avaient choisi la discrétion de l'ombre pour mieux s'opposer aux «clans politico-militaires» et provoquer ainsi une démocratisation réelle de la société algérienne, en dehors des deux «pouvoirs » que connaît le pays : le régime militaire et l'Islam radical.

Le «cerveau» de la révolte, c'est-à-dire la société berbère représentée à Tizi Ouzou par une coordination issue de chaque wilayas (département) et comprenant nécessairement de membres de partis différents (sinon opposés), n'a probablement pas été surpris outre-mesure par la violence de la riposte policière du pouvoir, lors de la marche pacifique du 14 juin. Pour cela il avait annoncé d'avance qu'il ne renoncerait pas à la destination finale de ce défilé : le palais présidentiel et un président sans pouvoir qui, au lendemain de l'avant-dernière marche, avait déjà donné sa démission aux généraux qui l'ont choisi il y a un peu plus de deux ans.

Lors de ce «conclave» les généraux avaient refusé cette démission, faute de remplaçants crédibles, dit-on à Alger. Auparavant, plusieurs semaines avant le début de la révolte en Kabylie, un nom circulait déjà pour occuper la place de président de la République : celui de l'ancien Premier ministre Sid Ahmed Ghozali. C'était au moment où la quasi-totalité de la presse algérienne attaquait quotidiennement le président, « coupable » à ses yeux de trop favoriser la mouvance islamiste et une réconciliation nationale profitant beaucoup plus aux terroristes repentis qu'aux milliers de victimes civiles. Depuis, la Kabylie s'est lancée dans une révolte que le régime a de plus en plus de mal à maîtriser. Parce qu'il n'a plus d'arguments politiques, il n'utilise que la force brutale. Comme en 1988-89, lorsque une révolte (très peu spontanée, semble-t-il) de jeunes s'est vite transformée en véritable émeute, et l'armée - pas la police - est intervenue, provoquant un véritable massacre. Un certain général Khaled Nezzar parvient alors à se hisser tout en haut de la pyramide, d'abord en tant que commandant de l'état de siège. A ses côtés on retrouve déjà deux autres généraux clé: Mohammed Betchine, et Mohammed Lamari.

Aujourd'hui le président Bouteflika se retrouve dans la même situation que tous ses prédécesseurs. Il est à la merci tout autant des généraux que des jeunes manifestants qui n'ont plus rien à perdre. L'absence presque totale de réaction de la part des pays directement concernés par les événements d'Alger montre bien que tout le monde retient son souffle. En attendant la suite.



par Elio  Comarin

Article publié le 15/06/2001