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Sida

«Un meurtrier silencieux»

Daniel Vangroenweghe est l'auteur d'un ouvrage intitulé Sida et sexualité en Afrique. Anthropologue et ethnologue, il a vécu deux ans parmi les pygmées en Afrique centrale. Dans son livre, il analyse avec précision mais sans jugement de valeur les pratiques sexuelles sur le continent. Il met en avant à la fois la dimension historique de la propagation du sida et la dimension culturelle inhérente aux comportements sexuels. Daniel Vangroenweghe consacre aussi un chapitre à l'homosexualité, un phénomène tabou, dont l'existence est même souvent niée par les autorités et qui pourtant existe bel et bien dans les pays africains.
RFI : Est-ce qu'il y a des pratiques sexuelles spécifiques qui favorisent en Afrique plus qu'ailleurs la contamination ?

D. V.:
Je crois que oui. Mais il faut en même temps dire que l'une des grandes causes c'est la pauvreté. Beaucoup de gens ne peuvent pas se marier avant 25 ou 30 ans, il faut donc remplir la sexualité entre 14 et 30 ans. Chaque Africain croit qu'un homme qui ne pratique pas la sexualité au moins deux fois par semaine n'est pas en bonne santé. Pendant l'abstinence past-partum qui peut aller, suivant les régions, de trois mois à deux ans, un mari a droit à des relations extraconjugales. Cela développe le recours à la prostitution. De même que le fait qu'en Afrique plus qu'ailleurs, il y a de nombreux couples qui ne vivent pas sous le même toit. Au Zimbabwe par exemple, entre 30 et 60 % des maris sont absents pendant des mois. Ils sont dans les plantations, dans les mines.

RFI : Y a-t-il eu des changements de comportements des populations en rapport avec le sida ces dernières années ?

D. V.:
Il y a eu, en effet, des changements spectaculaires dans certaines coutumes traditionnelles qui ont un rapport avec le sida. Dans certains groupes, par exemple, l'héritier légitime doit avoir un coït avec la veuve afin de la purifier et d'écarter la mort. Cette coutume a quasiment disparu en dix ans. Mais beaucoup de changements sociaux n'ont rien à voir avec le sida. L'Afrique est le continent le moins urbanisé du monde mais c'est celui qui s'urbanise le plus vite. Cela implique beaucoup de changements.

RFI : Quels acteurs de la société civile peuvent jouer un rôle pour modifier les comportements ?

D.V. :
L'un des relais, ce sont les autorités dites traditionnelles qui ont un certain impact dans de petits groupuscules, des souscultures, ces gens qui ont un pouvoir politique dans le sens large du mot, d'un quartier, d'un village. Mais aussi les directeurs de plantations car ils travaillent avec des milliers de personnes. Certains d'entre eux donnent des préservatifs avec le salaire. Mais il ne faut pas seulement donner des préservatifs, il faut aussi donner une certaine éducation.

«Les politiciens ne font absolument pas ce qu'il faudrait faire»

RFI : Est-ce que la propagation dramatique du sida en Afrique n'est pas en grande partie due aux lacunes des politiques des Etats dans le domaine de la prévention, de l'information ?

D.V. :
Les politiciens, dans la plupart des pays africains, ne font absolument pas ce qu'il faudrait faire. Ils nient le problème, n'en parlent pratiquement pas. Le rôle des Etats est pourtant très important car les parents africains n'ont pas l'habitude de donner une éducation sexuelle. Leurs connaissances biologiques sont d'ailleurs le plus souvent peu précises. Dans l'ensemble, les parents sont contre l'éducation sexuelle car ils pensent que lorsque l'on parle de la pilule, du préservatif, on stimule la sexualité. Ils croient que leur fille n'a pas de rapports sexuels avant quinze alors que dans certaines régions comme au Nord du Nigeria, une jeune fille sur trois a déjà un enfant à quatorze ans.

RFI : Quels sont les Etats qui se sont le plus impliqués dans la lutte contre le sida et comment ?

D. V. :
Il y a quelques Etats qui ont mené des politiques plus dynamiques contre le sida comme l'Ouganda et le Sénégal. La séropositivité en Ouganda était tellement haute que l'on a, grâce des aides internationales mais aussi à des efforts nationaux, mené dans les villes des politiques de prévention, avec notamment des distributions de préservatifs. Et cela a porté ses fruits. Pas des fruits miraculeux car lorsque l'on a des millions de séropositifs, on ne peut pas stopper l'épidémie. Elle va continuer à progresser.

RFI : Quel est l'impact des campagnes de prévention menées en Afrique par les organisations internationales ?

D.V. :
Dans beaucoup de villes, il y a des ventes dans les kiosques de bière ou d'autres points de diffusion à un prix bas subventionné par des sociétés internationales de préservatifs. Mais comme 40 % des Africains habitent à la campagne, ils n'ont pas accès à cela. Et 40 % des femmes qui habitent à la campagne ne savent ni lire ni écrire. Le sida est une maladie éloignée de leurs préoccupations, c'est ça la malignité du sida car les femmes doivent se préoccuper d'abord d'avoir de quoi manger et pas d'une maladie qui, dans dix ans, peut les faire mourir. Le virus Ebola qui en deux jours donne de la fièvre et tue en quatre jours, n'a pas le temps de se diffuser. Mais le sida ne provoque pas des symptômes de ce type, c'est un meurtrier silencieux.

Sida et sexualité en Afrique, Daniel Vangroenweghe, EPO, Anvers, 479 p, 2000.



par Propos recueillis par Valérie  Gas

Article publié le 27/06/2001