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Serbie

Milosevic extradé à La Haye

Extradé jeudi soir par le gouvernement serbe vers le Tribunal pénal international de La Haye, Slobodan Milosevic a passé sa première nuit en prison aux Pays-Bas.
De notre correspondant dans les Balkans

Le dossier Milosevic aura donc connu un dénouement plus rapide que prévu. Jeudi matin, la Cour constitutionnelle yougoslave décide de suspendre l'application du décret gouvernemental permettant l'extradition de l'ancien président, afin de déterminer s'il est conforme à la constitution. Cette décision suscite la colère du gouvernement de Serbie, qui se réunit en séance exceptionnelle en début d'après-midi. Les dirigeants de la majorité n'ont pas de mots assez durs pour critiquer l'indépendance de la Cour, dont les cinq juges ont en effet été nommés sous l'ancien régime.

Pour l'Alliance civique de Serbie, une des composantes de la majorité, cette Cour ne serait qu'un «vestige du passé». Des proches du Premier ministre de Serbie, Zoran Djindjic, laissent entendre que le gouvernement pourrait choisir de ne pas tenir compte de la décision de la Cour, et procéder malgré tout à l'extradition de Slobodan Milosevic. En effet, la Conférence internationale des donateurs pour la Yougoslavie est prévue pour vendredi, et plusieurs pays, dont les Etats-Unis, lient leurs aides futures à la volonté yougoslave de coopérer avec le Tribunal pénal international de La Haye. Seul, le président fédéral, Vojislav Kostunica, reste silencieux, après avoir indiqué à plusieurs reprises qu'il faudrait respecter la décision de la Cour.

Après un long huis-clos gouvernemental, la nouvelle tombe peu avant 19 heures : l'extradition de Slobodan Milosevic a commencé. La radio indépendante B92 est la première à donner la nouvelle. Peu après, un cortège de voiture s'ébranle de la prison centrale, que quittent une heure plus tard Mirjana Markovic, l'épouse de l'ancien président, et sa fille Marija. Les deux femmes refusent de faire la moindre déclaration. Slobodan Milosevic monte dans un avion vers 20 heures. Zoran Djindjic confirme l'extradition de Slobodan Milosevic, en expliquant brièvement que le pays ne pouvait pas prendre le risque de se «ridiculiser» à la veille de la Conférence des donateurs. Le Premier ministre a refusé de répondre à toute question sur les éventuelles conséquences de la décision.

Une tempête politique

Le coup de force accompli par les autorités serbes ne manquera pourtant pas de susciter une tempête politique. Immédiatement, le Parti radical serbe de Vojislav Seselj (extrême droite) a estimé que «grâce à la DOS, il n'y avait plus d'ordre constitutionnel en Serbie». Une manifestation de protestation a commencé dans la soirée à Belgrade, mais les derniers partisans de Slobodan Milosevic ont déjà donné, ces derniers jours, la preuve de leur incapacité à mobiliser largement. Plus grave cependant, l'extradition de l'ancien président ne manquera pas de d'aggraver les relations, déjà tendues, entre Zoran Djinjdic et Vojislav Kostunica. Le président fédéral yougoslave s'était toujours prononcé en faveur d'un jugement de son prédécesseur en Serbie même, et il a affirmé n'avoir appris son extradition que par la télévision.

Défenseur sourcilleux de la Constitution et de la souveraineté yougoslave, Vojislav Kostunica aura sûrement beaucoup de mal à passer l'éponge sur l'extradition qui s'est manifestement faite en violation des lois yougoslaves. Etrange ironie du sort, le dossier Milosevic aura connu son épilogue un 28 juin, jour anniversaire de la bataille de Kosovo, perdue par l'armée serbe face aux Turcs le 28 juin 1389. Le 28 juin 1989, Slobodan Milosevic avait prononcé le discours programme annonçant les guerres à venir au pied du monument commémorant la bataille, à quelques kilomètres de Pristina. Un million de Serbes avaient alors acclamé «Slobo le Serbe», l'homme qui leur promettait une «revanche». Zoran Djindjic n'a pas manqué de relever cette coïncidence de date, appelant ses concitoyens à tourner la page de «douze années de guerre et de violence».



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 29/06/2001