Egypte
La sacro-sainte colère des coptes
L'article d'un journal à scandale égyptien a précipité dans les rues des milliers de membres de la minorité chrétienne copte. Les autorités craignent de nouveaux affrontements interconfessionnels.
De notre correspondant en Egypte
Des coptes qui descendent manifester leur ras-le-bol dans la rue! Un événement non seulement sans précédant mais impensable il y a encore quelques jours. Il aura pourtant suffit de quelques photos scabreuses et d'un article de journal à scandale pour faire déborder le vase que l'on croyait sans fond. Dimanche 17 juin, l'hebdomadaire indépendant Al Nabaa (la nouvelle) sortait avec une nouvelle et quelle nouvelle : «Deir al Moharaq transformé en bordel!». Deir al Moharaq est un des monastères les plus vénérés par les chrétiens d'Egypte puisque, selon la tradition, il a été construit à l'endroit le plus extrême rejoint par la sainte famille dans sa fuite en Egypte. Comme si les pages noires d'encre ne suffisaient pas, Al Nabaa les a illustrées de photos représenant un gros barbu, torse nu, visiblement en train de copuler avec une femme aussi peu vêtue.
Selon le journal, ces instantanés très flous représentaient le moine Barsoum el Moharaqi en pleine action «sur l'autel du monastère». Stupre et fornication qu'il aurait exercé avec «5 000 femmes, jeunes filles et enfants». Si le moine n'a pas été dénoncé, écrivait le journal, c'est qu'il faisait chanter ses supérieurs puisque, même le chanoine était coupable de «se faire masser les organes génitaux par les moines !». De quoi provoquer, dans un premier temps, la honte chez les six millions de coptes d'Egypte. Une humiliation d'autant plus forte que le journal à scandale battait des records de vente. «Plusieurs millions», selon le rédacteur en chef d'Al Nabaa, Mahmoud Mahrane. Mais très vite, la mortification a cédé la place à la fureur.
Par milliers, les coptes se sont rendus à la cathédrale Morcosseya, le siège du patriarche Chénoudah III pour exprimer leur rage de voir «les symboles de la religion chrétienne traînés dans la boue». Finalement, en fin d'après-midi, les autorités réagissaient et police de la sécurité de l'Etat commençait à saisir les derniers numéros d'Al Nabaa. 1 736 selon les procès verbaux, une goutte d'eau dans l'océan. D'ailleurs, un marché noir s'est instauré et trois jours après les numéros d'Al Nabaa se vendaient encore mais à 200 francs! Le prix de plus de 2 000 galettes de pain !
Trop peu, trop tard! Les coptes descendaient dans la rue et bloquaient l'avenue Ramses. Des manifestations qui allaient se répéter non seulement au Caire mais aussi à Assiout (400 km au sud de la capitale) autour du Deir al Moharaq. Un lieu d'autant plus symbolique qu'il avait été la cible, il y a quelques années des tirs d'extrémistes musulmans. Résultat: plusieurs dizaines de manifestants et de policiers blessés. Des forces de l'ordre qui ont reçu l'ordre de «retenue maximale» pour ne pas exacerber la tension. Mais les photos extraites du journal et placardées sur les boutiques coptes et les moyens de transport n'ont rien fait pour calmer l'ire des coptes qui n'hésitent plus à dénoncer «le fait d'être des citoyens de seconde catégorie opprimés par la majorité musulmane».
«Une offense contre les chrétiens et le christianisme»
La condamnation des partis politiques, des éditorialistes de la presse officieuse, des intellectuels et des hauts responsables religieux de l'islam, n'a pas suffit à réduire l'exaspération. Jeudi 21 juin, le gouvernement s'est décidé à donner son ultime organe de propagande: la télévision. La première chaîne a diffusé une interview une interview du pape copte orthodoxe Chénoudah III initialement programmée pour la semaine prochaine. Le patriarche, remonté, a réclamé des mesures contre un hebdomadaire qu'il a accusé d'avoir offensé «les chrétiens et le christianisme» et de menacer le pays de «sédition confessionnelle» (entre chrétiens et musulmans). Des paroles fortes à la mesure de ce que le pape a qualifié de «colère sans précédent des coptes». Chénoudah III s'était déjà confronté, il y a vingt ans, avec l'autorité du président Anouar el Sadate ce qui lui avait valu d'être exilé durant deux ans dans un monastère du désert libyque.
La volonté des autorités égyptiennes de mettre un terme à cette atmosphère empoisonnée est due à la crainte de voir l'affaire dégénérer. Un différend entre chrétiens et musulmans sur le prix d'une paire de pantoufles avait provoqué un massacre en janvier 2000 dans le village de Kocheh, en Haute Egypte où 21 coptes avaient été tués. De plus, les coptes sont des acteurs essentiels du secteur privé égyptien dont dépend en grande partie l'économie du pays. Il ne faut pas, enfin, négliger le Congrès américain qui doit incessamment voter la loi accordant à l'Egypte deux milliards de dollars d'aide économique et militaire pour 2002. Un congrès très sensible aux «persécutions religieuses»!
Des coptes qui descendent manifester leur ras-le-bol dans la rue! Un événement non seulement sans précédant mais impensable il y a encore quelques jours. Il aura pourtant suffit de quelques photos scabreuses et d'un article de journal à scandale pour faire déborder le vase que l'on croyait sans fond. Dimanche 17 juin, l'hebdomadaire indépendant Al Nabaa (la nouvelle) sortait avec une nouvelle et quelle nouvelle : «Deir al Moharaq transformé en bordel!». Deir al Moharaq est un des monastères les plus vénérés par les chrétiens d'Egypte puisque, selon la tradition, il a été construit à l'endroit le plus extrême rejoint par la sainte famille dans sa fuite en Egypte. Comme si les pages noires d'encre ne suffisaient pas, Al Nabaa les a illustrées de photos représenant un gros barbu, torse nu, visiblement en train de copuler avec une femme aussi peu vêtue.
Selon le journal, ces instantanés très flous représentaient le moine Barsoum el Moharaqi en pleine action «sur l'autel du monastère». Stupre et fornication qu'il aurait exercé avec «5 000 femmes, jeunes filles et enfants». Si le moine n'a pas été dénoncé, écrivait le journal, c'est qu'il faisait chanter ses supérieurs puisque, même le chanoine était coupable de «se faire masser les organes génitaux par les moines !». De quoi provoquer, dans un premier temps, la honte chez les six millions de coptes d'Egypte. Une humiliation d'autant plus forte que le journal à scandale battait des records de vente. «Plusieurs millions», selon le rédacteur en chef d'Al Nabaa, Mahmoud Mahrane. Mais très vite, la mortification a cédé la place à la fureur.
Par milliers, les coptes se sont rendus à la cathédrale Morcosseya, le siège du patriarche Chénoudah III pour exprimer leur rage de voir «les symboles de la religion chrétienne traînés dans la boue». Finalement, en fin d'après-midi, les autorités réagissaient et police de la sécurité de l'Etat commençait à saisir les derniers numéros d'Al Nabaa. 1 736 selon les procès verbaux, une goutte d'eau dans l'océan. D'ailleurs, un marché noir s'est instauré et trois jours après les numéros d'Al Nabaa se vendaient encore mais à 200 francs! Le prix de plus de 2 000 galettes de pain !
Trop peu, trop tard! Les coptes descendaient dans la rue et bloquaient l'avenue Ramses. Des manifestations qui allaient se répéter non seulement au Caire mais aussi à Assiout (400 km au sud de la capitale) autour du Deir al Moharaq. Un lieu d'autant plus symbolique qu'il avait été la cible, il y a quelques années des tirs d'extrémistes musulmans. Résultat: plusieurs dizaines de manifestants et de policiers blessés. Des forces de l'ordre qui ont reçu l'ordre de «retenue maximale» pour ne pas exacerber la tension. Mais les photos extraites du journal et placardées sur les boutiques coptes et les moyens de transport n'ont rien fait pour calmer l'ire des coptes qui n'hésitent plus à dénoncer «le fait d'être des citoyens de seconde catégorie opprimés par la majorité musulmane».
«Une offense contre les chrétiens et le christianisme»
La condamnation des partis politiques, des éditorialistes de la presse officieuse, des intellectuels et des hauts responsables religieux de l'islam, n'a pas suffit à réduire l'exaspération. Jeudi 21 juin, le gouvernement s'est décidé à donner son ultime organe de propagande: la télévision. La première chaîne a diffusé une interview une interview du pape copte orthodoxe Chénoudah III initialement programmée pour la semaine prochaine. Le patriarche, remonté, a réclamé des mesures contre un hebdomadaire qu'il a accusé d'avoir offensé «les chrétiens et le christianisme» et de menacer le pays de «sédition confessionnelle» (entre chrétiens et musulmans). Des paroles fortes à la mesure de ce que le pape a qualifié de «colère sans précédent des coptes». Chénoudah III s'était déjà confronté, il y a vingt ans, avec l'autorité du président Anouar el Sadate ce qui lui avait valu d'être exilé durant deux ans dans un monastère du désert libyque.
La volonté des autorités égyptiennes de mettre un terme à cette atmosphère empoisonnée est due à la crainte de voir l'affaire dégénérer. Un différend entre chrétiens et musulmans sur le prix d'une paire de pantoufles avait provoqué un massacre en janvier 2000 dans le village de Kocheh, en Haute Egypte où 21 coptes avaient été tués. De plus, les coptes sont des acteurs essentiels du secteur privé égyptien dont dépend en grande partie l'économie du pays. Il ne faut pas, enfin, négliger le Congrès américain qui doit incessamment voter la loi accordant à l'Egypte deux milliards de dollars d'aide économique et militaire pour 2002. Un congrès très sensible aux «persécutions religieuses»!
par Alexandre Buccianti
Article publié le 22/06/2001