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Affaires politico-financières

Jacques Chirac dans la tourmente

L'affaire des voyages payés en liquide par Jacques Chirac, alors qu'il était maire de Paris, provoque un cafouillage judiciaire sur le statut du chef de l'Etat. Le débat qui, à l'approche de la campagne présidentielle, suscite également une tempête politique, ne pourra être tranché que par la Cour de cassation.
Rude semaine pour Jacques Chirac. Le président de la République va devoir se montrer convaincant, samedi prochain, lors du traditionnel entretien télévisé accordé aux journalistes à l'occasion du 14 juillet. Les Français attendent ses explications sur l'origine des fonds en liquide avec lesquels auraient été payés ses voyages en avion, entre 1992 et 1995. Pour un montant qui, de source judiciaire, serait revu à la baisse : 1,2 millions de francs au lieu des 2,4 millions initialement annoncés.

S'agit-il, comme le soutient l'Elysée, d'argent provenant des «primes» touchées par Jacques Chirac alors qu'il était Premier ministre, de 1986 à 1988, autrement dit des fameux fonds secrets alloués à l'exécutif ? Ou bien s'agit-il de fonds occultes provenant des marchés présumés truqués des lycées d'Ile-de-France, comme le soupçonnent les juges d'instruction Armand Riberolles, Marc Brisset-Foucault et Renaud Van Ruymbeke ? En tout cas, l'enquête s'accélère et se rapproche de Jacques Chirac. Mardi 10 juillet, plusieurs collaborateurs du chef de l'Etat ont été entendus comme témoins par les magistrats. Parmi eux, Maurice Ulrich, sénateur RPR et conseiller du président. Claude Chirac, la fille du président, vient d'être entendue mercredi, également en tant que témoin.

L'étau se resserre. Mais la question centrale, qui agite chaque jour davantage les milieux politiques et judiciaires n'est toujours pas tranchée. Jacques Chirac devra-t-il lui même s'expliquer devant les juges ? Son statut le permet-il, ou bien est-il protégé par l'immunité qu'a conféré au président de la République la décision du Conseil constitutionnel, en janvier 1999, estimant que seule la Haute Cour de justice est compétente durant son mandat ? Pour l'heure, l'institution judiciaire est en ébullition. La controverse fait rage entre le procureur de la République, Jean-Pierre Dintilhac, et le procureur général de la Cour d'appel de Paris, Jean-Louis Nadal. Le premier, ne tenant aucun compte de l'avis du second, a donné mardi son feu vert aux trois juges pour convoquer Jacques Chirac comme «témoin assisté», et l'entendre sur l'origine des fonds.

La Cour de cassation devra se prononcer sur le statut pénal du président

L'Elysée a immédiatement réagi. Le chef de l'Etat «ne peut déférer à une quelconque convocation qui serait contraire au principe de la séparation des pouvoirs comme aux exigences de la continuité de l'Etat». Une argumentation déjà avancée, voilà quelques mois, lors de la convocation de Jacques Chirac par le juge Halphen dans l'affaire des HLM de Paris. La balle est maintenant dans le camp des juges. Ils vont devoir rendre une ordonnance disant si, oui ou non, ils s'estiment compétents pour entendre le président. Dans les deux cas, s'ensuivra alors un processus judiciaire, qui, d'éventuels rebondissements en probables passes d'armes, finira de toute façon devant la Cour de cassation, sans doute à l'automne. La plus haute juridiction de l'ordre judiciaire devra alors trancher et donner son avis sur le statut pénal du chef de l'Etat.

D'ici là, l'imbroglio juridique ne manquera pas de s'accompagner d'une intensification de la bataille politique autour d'une affaire qui, à moins d'un an de l'élection présidentielle, ébranle chaque jour davantage une cohabitation déjà bien fragile. Dans le camp présidentiel, on soutient, en termes à peine voilés, la thèse de la manipulation politique. Quant à Patrick Devedjian, conseiller du RPR, le parti chiraquien, il avance que les juges, s'étant «autorisés eux-mêmes à procéder à des investigations, agissent dans la plus totale illégalité». L'entourage du Premier ministre se garde de jeter trop ouvertement de l'huile sur le feu, se bornant, comme le ministre chargé des relations avec le Parlement, Jean-Jacques Queyranne, à estimer que «les parlementaires de l'opposition doivent laisser la justice travailler en toute sérénité». Lionel Jospin lui-même a déclaré que c'était «une question» dont il ne se «mêlait pas».

Reste que cette affaire a commencé à provoquer quelques dégâts politiques. Les sondages les plus récents montrent une baisse de la cote de popularité de Jacques Chirac (jusqu'à 5 points). Phénomène passager ? Défiance durable ? Cela dépendra, en partie, de la capacité du chef de l'Etat à convaincre ses compatriotes, samedi prochain. Patrick Devedjian assure qu'il sera «combatif» et «explicatif». Cela dépendra surtout des prochains développements d'un feuilleton judiciaire qui pourrait réserver quelques surprises.



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 11/07/2001