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Côte d''Ivoire

Des gendarmes au banc des accusés

Nommée par Kofi Annan, la Commission d'enquête internationale sur la tuerie de Yopougon, fin 2000, dresse un bilan accablant pour la gendarmerie. Son implication «semble être indiscutable» selon le rapport, qui dénonce un usage «systématique» de la torture.
De notre correspondant à New York (Nations unies)

Le rapport est accablant pour la gendarmerie ivoirienne. Il fournit un compte-rendu minutieux des événements qui ont conduit à la découverte du charnier de Yopougon, dans lequel 57 corps ont été retrouvés le 27 octobre 2000. Les émeutes à Abidjan ont commencé lorsque le général Gueï a mis un terme au processus démocratique, alors que les premiers résultats donnaient Laurent Gbagbo vainqueur. Les manifestations qui ont suivi ont été violemment réprimées par l'armée, en particulier par la Garde rouge et la garde rapprochée du Général Gueï. Des témoins rencontrés par la Commission d'enquête internationale ont alors reconnu le lieutenant Boka Yapi, un proche de Gueï, parmi les militaires qui chargent la foule à bord de véhicules tout-terrain. «Devant l'immeuble de la présidence, des coups de feu sont tirés sur la foule par des militaires en faction», confirme le rapport.

La donne change le 25 octobre vers 13 heures lorsque Laurent Gbagbo se proclame président de la République alors que Gueï se retire. Des sympathisants du Rassemblement des Républicains (RDR) de Alassane Ouattara, qui sont déjà dans les rues, manifestent alors pour la reprise des élections. Les premiers affrontements entre supporters des deux camps éclatent. Les manifestations du RDR reprennent le 26. «Les gendarmes tirent sur les manifestants (...), des rafles sont effectuées par les gendarmes dans les quartiers populaires ». Selon les enquêteurs, «des personnes sont arbitrairement arrêtées dans la rue ou à leur domicile». Pour procéder à ces arrestations, les gendarmes sont souvent accompagnés de civils qui désignent les personnes à arrêter. «Des témoignages indiquent que ces civils sont des militants ou des sympathisants du FPI ». Les victimes sont «de jeunes hommes le plus souvent, identifiés comme originaires du nord du pays ou étrangers.» Ils sont transférés dans les camps de gendarmerie d'Abobo, de Yopougon, de Koumassi, d'Agban, et à l'école de police de Cocody.

«Toutes ces personnes subissent systématiquement des mauvais traitements », selon la Commission : coups de ceinturons, de crosses de fusil, personnes lapidées avec des briques, tailladées avec des lames de rasoirs, jets d'eau pimentée sur des blessures ouvertes, brûlures avec un fer à repasser, brûlures à l'acide et au plastique fondu, simulacres d'exécutions... Plusieurs cas de viols, accompagnés d'actes de torture sont également signalés. Dans le camp d'Abobo, le 26 octobre, une quarantaine de personnes sont détenues. Selon un gendarme, le responsable du camp, le capitaine Be Kpan aurait harangué ses troupes en les incitant à venger la mort d'un des leurs.. C'est semble-t-il sous ses ordres que certains gendarmes tirent sur le groupe de détenus.

Vers 17 heures 30, les gendarmes ordonnent aux survivants de former des groupes de deux personnes pour charger les corps à bord d'un camion dans lequel eux-mêmes doivent monter. Ils sont emmenés sur le site de Yopougon, où ils déchargent les cadavres avant d'être obligés de se coucher par terre. Selon deux survivants, les gendarmes ouvrent alors le feu sur eux. Contrairement à ce que laissait entendre le rapport de gendarmerie, l'expertise balistique de 27 balles et 64 douilles recueillies sur place indique qu'au moins six armes ont été utilisées sur le site. Des armes compatibles avec celles utilisées par les gendarmes du camp d'Abobo. En conclusion, la Commission estime que «l'implication des gendarmes du camp d'Abobo dans ce massacre semble être indiscutable». Selon le rapport, «l'inculpation de six gendarmes dans cette affaire est un premier pas courageux sur le chemin de la justice». Leur procès commence le 23 juillet.

Responsabilité de l'Etat

Le bilan des émeutes dans la capitale est selon la commission de 169 morts, dont 132 par balles.
Ces faits ont été compilés par la Commission d'enquête internationale pour la Côte d'Ivoire établie par Kofi Annan, en accord avec les autorités ivoiriennes. Composée de trois membres, présidée par l'ambassadeur Colin Granderson (Trinité et Tobago), la commission a été épaulée par une équipe de quatre experts en droits de l'homme chargés des enquêtes, plus un médecin légiste, un enquêteur de police, une anthropologue, un conseiller juridique et un conseiller politique.

La commission ne désigne pas de responsables au plus haut niveau. «Les faits du mois d'octobre se sont déroulés dans un contexte politique et sécuritaire marqué par le chaos, expliquent les enquêteurs. Les événements se sont précipités de telle sorte que l'autorité de l'Etat s'est momentanément dissipée». Plus loin, le rapport précise toutefois que l'Etat est soumis à la « continuité de ses obligations». Sa responsabilité est «pleinement engagée». Et de poursuivre : «des réflexes de solidarité ethnique chez des éléments de la gendarmerie ont parfois pris le pas sur le respect des ordres.» Face aux rapporteurs, des officiers supérieurs ont nié l'évidence.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 22/07/2001