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Balkans

La fuite des réfugiés macédoniens

Chassés par les guérilleros de l'UCK, les villageois macédoniens dénoncent l'inaction des autorités et l'attitude de la communauté internationale.
De notre correspondant dans les Balkans

Une longue poutre appuyée à un tracteur et quatre chaises : voilà toutes les bien symboliques barricades dressées devant le Parlement de Skopje par les réfugiés macédoniens chassés de leurs villages par la guérilla albanaise de l'UCK. Ils sont pourtant plusieurs dizaines à camper ainsi pour manifester leur colère et leur désespoir. «J'ai tout perdu, ma maison, mon tracteur, ma voiture, et mes champs ont été incendiés», explique Jordan, un homme d'une quarantaine d'années. «Lorsque les terroristes se sont approchés du village, je n'ai eu que le temps de m'enfuir avec ma famille. Ils ont déjà kidnappé beaucoup de Macédoniens». Vendredi, Jordan est revenu pour quelques heures dans son village de Lesok, juste le temps de constater les dégâts et de prendre quelques affaires.

Depuis la conclusion du cessez-le-feu, beaucoup de villageois macédoniens sont revenus visiter leurs maisons, sous bonne escorte de la police et des Nations Unies. Bien peu ont osé rester dans leurs maisons détruites ou souillées de graffitis à la gloire de l'UCK. «Les terroristes prétendent qu'ils se sont retirés. En fait, ils sont toujours à quelques centaines de mètres du village», poursuit Jordan. Sur la route qui relie Tetovo à la frontière du Kosovo, et qui traverse plusieurs villages macédoniens, seuls des sacs de sable abandonnés signalent les anciennes positions de l'UCK, mais les guérilleros ou leurs informateurs civils surveillent toujours tous les mouvements. La situation reste particulièrement tendue dans des villages à la population mélangée, comme Neprosteno, qui compte une quarantaine de foyers macédoniens.

La radicalisation de l'opinion

«Tous mes parents sont nés et ont vécu à Lesok. Je suis un paysan et je ne connais pas d'autre métier, explique Jordan. Je me suis toujours bien entendu avec mes voisins albanais. Nous nous entraidions souvent, et je connais assez d'Albanais pour me faire comprendre au marché de Tetovo. C'est un nettoyage ethnique. Les extrémistes veulent chasser tous les Macédoniens pour créer la Grande Albanie», conclut-il.

Un petit groupe de curieux ne tarde pas à se former, vaguement hostile. Les réfugiés dénoncent pêle-mêle les exactions de l'UCK, l'apparente incapacité de l'armée et de la police macédonienne à protéger les populations civiles, et les compromissions de l'Occident, accusé de soutenir les revendications albanaises. «Nous avons tout perdu, il ne nous reste plus qu'à nous battre, et si nos dirigeants veulent faire de nouvelles concessions aux Albanais et à l'OTAN, nous les renverserons», s'exclame un jeune homme.

Les dirigeants macédoniens, enfermés depuis samedi matin dans des négociations à huis clos avec les dirigeants des partis politiques albanais et les émissaires internationaux James Pardew et François Léotard, savent bien qu'ils ne peuvent pas prendre le risque de faire de réelles concessions, au risque de s'aliéner l'opinion macédonienne.

Du côté albanais, la même radicalisation semble prévaloir. Le leader du Parti de la prospérité démocratique, Imer Imeri, estimait ainsi vendredi que les Albanais avaient déjà «assez fait de concessions». Selon un diplomate occidental, il y aurait «50% de chances» que les discussions aboutissent à un accord. Les pourparlers achoppent toujours sur l'épineuse question du statut officiel de la langue albanaise. Pourtant, en cas d'échec, il ne reste plus beaucoup d'alternatives pour empêcher le pays de sombrer dans la guerre civile.

Sur la place du Parlement, les passants pressent le pas, mais le sort des réfugiés macédoniens a entraîné une lame de fond de radicalisation dans l'opinion macédonienne. «Ils préfigurent peut-être ce qui sera notre sort commun», murmure un femme d'une cinquantaine d'années. Appuyées à un tracteur, des pancartes demandent : «Europe, es-tu prête à accueillir les réfugiés macédoniens ?»



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 30/07/2001