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Serbie

Le procès Milosevic ne mobilise pas à Belgrade

La première comparution de Milosevic devant le tribunal de la Haye a été accueillie dans une certaine indifférence à Belgrade. Seuls quelques milliers de partisans de l'ancien président ont manifesté mais son extradition continue de provoquer des remous au sein de la classe politique.
De notre correspondant dans les Balkans

Quelques minutes après la comparution de Slobodan Milosevic devant la Cour de La Haye, retransmise en direct par les télévisions serbes, près de 10 000 partisans de l'ancien Président se sont rassemblés devant le siège du Parlement fédéral, dans le centre de Belgrade. On est encore loin des grandes foules, et du scénario «insurrectionnel» annoncé par les organisateurs, mais de jour en jour, les rassemblements de soutien à Slobodan Milosevic prennent plus d'ampleur dans les rues de Belgrade.

Parmi les manifestants, beaucoup de personnes âgées, souvent des retraités de l'Armée et d'anciens militants de la Ligue des communistes yougoslaves devenus fidèles du Parti socialiste de Serbie (SPS) du président déchu, mais les plus nombreux et les plus jeunes viennent des rangs du Parti radical serbe (SRS) de Vojislav Seselj. Cette formation nationaliste d'extrême droite n'a pas toujours entretenu les meilleurs rapports avec Slobodan Milosevic, mais maintenant, explique un jeune manifestant, qui arbore des cheveux longs et une grande barbe à la manière des tchetniks de la Seconde guerre mondiale, «c'est l'honneur de la Serbie qui est en jeu». Plus mystique, un homme d'une quarantaine d'années ajoute : «il a été vendu pour une poignée de dollars, et on l'a livré un 28 juin, qui est le jour le plus sacré pour les Serbes depuis la bataille de Kosovo. Milosevic est notre nouveau Prince Lazar». A la veille de la bataille de 1389, le prince Lazar Hrebeljanovic, qui commandait les armées serbes face aux Turcs, aurait été visité par un ange, qui lui aurait demandé de choisir entre la victoire terrestre, ou la coupe du martyre, ouvrant au peuple serbe la voie des Cieux.

Le président Kostunica critiqué

Les slogans des manifestants s'en prennent avant tout au Premier ministre Zoran Djindjic, le «Judas serbe», mais critiquent aussi de plus en plus le Président fédéral. «C'est Vojislav Kostunica qui a le plus perdu dans cette crise», analyse un politologue belgradois. «Il s'est aliéné la confiance des intellectuels libéraux et de la partie de la population la plus attachée aux réformes, mais les secteurs conservateurs de la société, qui auraient pu se rallier à lui dans l'hypothèse d'une confrontation avec Zoran Djindjic, le soupçonnent de leur avoir menti, et d'avoir été pleinement complice dans le transfert de Slobodan Milosevic à La Haye».

Le Parti socialiste semble bien en peine d'encadrer les manifestations, tandis que Vojislav Seselj, qui pourrait fort bien se retrouver un jour lui aussi sur les bancs du Tribunal de La Haye, est, de très loin, l'orateur le plus acclamé. Vojislav Seselj est un homme qui doit tout à Slobodan Milosevic, qui l'a longtemps utilisé pour mieux «ratisser» électoralement le champ électoral du nationalisme serbe. Chef de redoutables milices lors de la guerre de Bosnie et vice-Premier ministre durant les dernières années de règne de Slobodan Milosevic, Vojislav Seselj a su feindre, à plusieurs reprises, des ruptures avec son mentor pour mieux asseoir sa propre stature politique. Les élections législatives serbes du 23 décembre 2000 ont assuré une représentation parlementaire au Parti radical, garantissant la survie de ce parti.

Alors que le gouvernement va devoir bientôt relever d'autres défis difficiles, comme celui des réformes économiques, il est inquiétant de voir que l'extrême droite est en train d'accaparer tout le champ de l'opposition .En récusant la légitimité du Tribunal de La Haye, mardi matin, Slobodan Milosevic a confirmé sa stature de potentiel «martyr» du peuple serbe. Les plus surpris en sont parfois les opposants de longue date à l'ancien Président, qui s'avouent obligés de lui reconnaître un certain panache.



par A Belgrade, Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 04/07/2001