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Egypte

L'homosexualité est-elle un crime ?

Le procès de 52 Egyptiens accusés d'homosexualité s'est ouvert mercredi 15 août devant la Cour de sûreté de l'Etat. Pourtant, dans le droit égyptien, l'homosexualité n'est pas un crime.
De notre correspondant en Egypte

Comment faire un procès pour un crime qui n'existe pas ? En recourant au flou juridique! C'est de cet artifice qu'a usé le procureur pour déférer 52 Egyptiens, homosexuels présumés, devant le tribunal correctionnel de la Haute cour de la sécurité de l'Etat.

Lors de l'ouverture du procès le 18 juillet, le représentant du parquet a affirmé devant le tribunal que deux des accusés avaient «exploité la religion musulmane pour propager des idées extrémistes, introduit des modifications aux versets du Coran afin de mépriser les religions monothéistes et le prophète Mahomet et inventer un mode de prière différent de la prière musulmane». De quoi justifier le déferrement des accusés devant une cour d'exception dont les jugements sont sans appels et qui, en principe, s'occupe d'affaires où les fondements de l'Etat sont menacés. En effet, la Charia (jurisprudence islamique) étant «la source principale des lois» selon l'article 2 de la Constitution égyptienne plusieurs cas, dont celui de sectes islamistes, ont été déférés devant la cour de la sécurité de l'Etat pour non-conformité à l'islam orthodoxe prôné par le régime.

Les cinquante autres personnes sont accusées de «faire des pratiques homosexuelles un principe fondamental de leur groupe afin de créer des dissensions sociales et de s'être adonnés à la débauche avec des hommes». Là aussi il s'agit d'éviter l'accusation directe d'homosexualité. En effet, nulle part dans la loi égyptienne, l'homosexualité est considérée comme un délit ou un crime contrairement à l'atteinte aux m£urs, le racolage, l'incitation à la débauche, la prostitution et le proxénétisme.

Prisonniers de conscience

Les accusés avaient été arrêtés le 11 mai sur le Queen-Boat, une boite de nuit sur le Nil, située face au quartier chic de Zamalek. Selon les témoins, les policiers avaient mis à l'écart les étrangers et les couples présents, pour n'arrêter que les Egyptiens mâles. Après une campagne de presse au vitriol, les inculpés ont été déférés devant le tribunal qui a tenu sa première session le 18 juillet au milieu d'un désordre indescriptible. Photographes et familles des accusés en sont presque venus aux mains.

Cela n'a pas empêché la presse de publier le lendemain «les photos des homosexuels». Des scènes qui se sont répétés lors de la reprise du procès le 15 août. Plusieurs des accusés, dont certains sont médecins, ingénieurs ou même militaires, ont affirmé à la presse avoir été victimes de mauvais traitement et de violences lors de leurs interrogatoires. Le procès des 52 accusés qui risquent jusqu'à 5 années de prison reprendra le 29 août.

Mais la vraie question est de savoir pourquoi le gouvernement égyptien a pris le risque de se mettre dans une situation embarrassante vis à vis des organisations internationales de défense des droits de l'homme et même de certains gouvernements occidentaux qui estiment que les accusés «sont des prisonniers de conscience» s'ils sont uniquement jugés à cause de leurs orientations sexuelles. Deux raisons :

1- Satisfaire le courant islamiste qui est actuellement le plus important mouvement d'opposition au sein du parlement sur des questions de détails pour qu'ils aient une attitude plus conciliante avec les autres politiques du gouvernement, y compris la répression de l'extrémisme. C'est aussi une manière de contrebalancer les arrestations sporadiques de frères musulmans.
2- Détourner l'attention de l'opinion publique de questions essentielles comme la crise économique et le chômage par un procès haut en couleur tout en montrant que le gouvernement lutte contre l'immoralité, la corruption etc. Une manière de légitimer un gouvernement de plus en plus contesté par la population.

En effet, au niveau intérieur, le gouvernement a peu de chances d'être contesté sur le «Procès des déviants sexuels» (traduction littérale de l'arabe) dans une Egypte ultra-conservatrice où l'homosexualité reste une tare. Dans d'autres sociétés orientales c'est même un crime puni de mort comme en Arabie Saoudite où trois Yéménites ont été exécuté pour «actes homosexuels». Même les organisations égyptiennes des droits de l'homme ont été quasiment absentes dans cette affaire. Une attitude qui a été dénoncée par un journaliste de la revue Cairo Times Hossam Bahgat. Cela lui a valu d'être mis à la porte de l'Organisation égyptienne des droits de l'homme dont le président, Hisham Kassem, est aussi le directeur du Cairo Times.



par Alexandre  Buccianti

Article publié le 15/08/2001