Comores
Le retour des incertitudes
Les officiers qui ont pris le pouvoir le 9 août dernier à Anjouan jouent la carte de l'apaisement. Ils s'engagent à ne pas entraver le processus de réconciliation nationale en cours. Mais leur coup de force signe, une fois encore l'échec d'une classe politique incapable d'offrir un projet clair à l'archipel comorien.
Le putsch des officiers anjouanais a pris tout le monde de cours. Une bonne partie des ténors de la politique comorienne se trouvaient à Mohéli, la petite île de l'Archipel, en train de plancher sur la constitution du nouvel ensemble comorien. Pour une fois, l'Organisation de l'unité africaine (OUA), l'Union européenne et l'Organisation internationale de la Francophonie ne cachaient pas leur satisfaction. Elles avaient même dépêché sur place quatre experts en droit. Après validation du projet, censé donner plus d'autonomie à chacune des îles, un référendum devait se tenir dans les plus brefs délais. Mai, Saïd Abeid, l'homme fort de l'île sécessionniste, a été renversé le jeudi 9 août, à la suite d'une mutinerie de sous-officiers.
«Personne ne s'attendait à ce coup de force, nous a confié, par téléphone, l'un des membres de la délégation anjouanaise à Mohéli. On a du repartir à Mutsamudu. Pour l'instant, on ne sait pas ce qui va se passer. Le nouveau pouvoir ne nous encore donné aucune indication sur la reprise des négociations. Ils ont simplement dit qu'ils n'étaient pas contre le processus.» A dire vrai, le triumvirat d'officiers de gendarmerie qui a pris la place de Saïd Abeid, s'est même engagé à rendre le pouvoir aux civils une fois scellée la réconciliation avec les autres îles. En attendant, ils ont mis en place une commission politico-militaire de transition pour gérer les affaires courantes, avec huit postes de commissaires (équivalent de ministres) confiés à des civils. L'un d'entre eux, Bacar Chahassou, président de la Fondation anjouanaise des Droits de l'Homme, propose de convier l'opposition insulaire à se joindre aux pourparlers entamés avec le pouvoir à Moroni, la capitale des Comores. Il parle aussi de lancer un audit sur les malversations du régime Abeid pour emporter la confiance de la population.
Les interrogations de l'opposition comorienne
Cette position est qualifiée de positive par les anti-séparatistes anjouanais, qui en ont profité pour refaire surface, après plusieurs mois de silence forcé. Parmi eux, les membres de l'association Ushababi, ainsi que Loutfi Adinane, représentant officiel de l'opposition anjouanaise. Tous estiment que le lieutenant-colonel Saïd Abeid a joué double jeu jusqu'au bout. Pendant qu'il feignait de négocier avec le pouvoir du président Azali à Moroni, il encourageait fortement la sécession à Mutsamudu. «Abeid jouait au yo-yo ,à tel point qu'on ne savait plus à quoi s'en tenir, raconte un membre de la société civile. D'autant plus qu'il entretenait de bonnes relations avec Azali lui-même, qui le considérait comme un frère d'armes. Si ce coup d'Etat n'avait pas eu lieu, il aurait fallu l'inventer. Sinon, on n'aurait jamais pu s'en débarrasser. Et les négociations auraient continué à s'enliser. Alors que la population en a marre. C'est pour cela que peu de personnes ont réagi contre son éviction de l'île.»
Beaucoup cependant s'interrogent sur la position prise par la France dans cette affaire. La veille du putsch, le lieutenant-colonel Joleaud, attaché militaire de l'ambassade de France à Moroni, achevait une visite de trois jours sur l'île d'Anjouan. Par ailleurs, le départ négocié de Saïd Abeid vers Mayotte pour éviter d'éventuels troubles, s'est effectué en la présence du consul de France à Anjouan, M. Lanners. Il n'en fallait pas plus pour susciter des soupçons dans un archipel où l'on a souvent vu la main de la France derrière les nombreux coups d'Etat intervenus depuis l'indépendance.
Est-ce la raison pour laquelle Paris a tout de suite pris position au lendemain du putsch pour «la poursuite de la mise en £uvre de l'accord national de Fomboni» ? Le Quai d'Orsay a tenu en effet à préciser que «la France encourage toutes les parties en présence à continuer les efforts entrepris pour le retour à l'unité de la République fédérale islamique des Comores et pour le retour à la légalité institutionnelle, par la mise en place d'institutions démocratiques dans les trois îles et ceci sans que le calendrier en soit modifié». A Moroni, certains milieux politiques d'opposition n'ont toujours pas oublié que la France exprimait des réticences à l'heure de la signature des accords de Fomboni, en raison de la place réservée à Mayotte dans la déclaration d'intention concernant le Nouvel Ensemble en construction. L'ancienne «mère patrie» refuserait que sa collectivité départementale continue à être intégrée à l'histoire des autres îles de l'Archipel. Une attitude qui, jugent-ils, l'emmènerait à favoriser l'instabilité permanente. Y compris à Anjouan.
L'opposition est cependant partagée sur la question. «C'est vrai que certains ont voulu faire le rapprochement, explique un proche d'Abbas Djoussouf, chef de l'opposition sur la Grande Comore. Nous ne savons pas encore si la France a réellement contribué à ce coup. Nous ne savons pas non plus si c'est pour encourager le processus ou l'enliser un peu plus, qu'ils auraient voulu évincer Abeid. Ce qui est sûr, c'est que le pays se retrouve avec un coup d'Etat militaire de plus sur sa longue liste. Ce qui prouve en réalité que nous n'avons pas été en mesure, nous, les politiques, d'inventer une solution face à la situation qui est la nôtre depuis 1975.» Après le départ de Mayotte il y a vingt cinq ans et celui d'Anjouan il y a quatre ans, les leaders politiques nationaux, à l'en croire, auraient tous manqués d'imagination pour contrer les vents séparatistes. A commencer par le «père de la nation», Ali Soilih, qui, en 1975, est parti négocier avec les Mahorais le retour éventuel dans l'ensemble historique [Episode connu sous le nom de la "Marche Rose"]. Notre interlocuteur ajoute, toujours critique envers ses pairs: «à chaque fois, nous avons accusé la France d'avoir tout manigancé. Mais nous, qu'avons-nous vraiment proposé à la place ? Rien. C'est même un sujet qui fâche dans nos rangs.» La remise en cause est claire: «les putschs ne font que relater notre incapacité à dessiner un projet clair pour l'avenir de ce pays. Cela personne ne souhaite l'entendre dire». Il rejoint ainsi l'opinion de Soilih Mohamed Soilih, journaliste écrivain, qui parle, lui, d'une classe politique davantage animée par «un marchandage permanent» du pouvoir que par le quotidien du citoyen comorien. Dans le même registre, l'historien Mahmoud Ibrahim parle dans un de ses derniers ouvrages d'une conscience politique inexistante dans l'archipel, «même parmi les farouches défenseurs de la nation comorienne». Tous, bien sûr, condamnent les coups de force. Mais aucun ne sait pour l'instant où se trouve la solution miracle pour réconcilier les îles. Résultat : Abeid parti, le brouillard persiste.
«Personne ne s'attendait à ce coup de force, nous a confié, par téléphone, l'un des membres de la délégation anjouanaise à Mohéli. On a du repartir à Mutsamudu. Pour l'instant, on ne sait pas ce qui va se passer. Le nouveau pouvoir ne nous encore donné aucune indication sur la reprise des négociations. Ils ont simplement dit qu'ils n'étaient pas contre le processus.» A dire vrai, le triumvirat d'officiers de gendarmerie qui a pris la place de Saïd Abeid, s'est même engagé à rendre le pouvoir aux civils une fois scellée la réconciliation avec les autres îles. En attendant, ils ont mis en place une commission politico-militaire de transition pour gérer les affaires courantes, avec huit postes de commissaires (équivalent de ministres) confiés à des civils. L'un d'entre eux, Bacar Chahassou, président de la Fondation anjouanaise des Droits de l'Homme, propose de convier l'opposition insulaire à se joindre aux pourparlers entamés avec le pouvoir à Moroni, la capitale des Comores. Il parle aussi de lancer un audit sur les malversations du régime Abeid pour emporter la confiance de la population.
Les interrogations de l'opposition comorienne
Cette position est qualifiée de positive par les anti-séparatistes anjouanais, qui en ont profité pour refaire surface, après plusieurs mois de silence forcé. Parmi eux, les membres de l'association Ushababi, ainsi que Loutfi Adinane, représentant officiel de l'opposition anjouanaise. Tous estiment que le lieutenant-colonel Saïd Abeid a joué double jeu jusqu'au bout. Pendant qu'il feignait de négocier avec le pouvoir du président Azali à Moroni, il encourageait fortement la sécession à Mutsamudu. «Abeid jouait au yo-yo ,à tel point qu'on ne savait plus à quoi s'en tenir, raconte un membre de la société civile. D'autant plus qu'il entretenait de bonnes relations avec Azali lui-même, qui le considérait comme un frère d'armes. Si ce coup d'Etat n'avait pas eu lieu, il aurait fallu l'inventer. Sinon, on n'aurait jamais pu s'en débarrasser. Et les négociations auraient continué à s'enliser. Alors que la population en a marre. C'est pour cela que peu de personnes ont réagi contre son éviction de l'île.»
Beaucoup cependant s'interrogent sur la position prise par la France dans cette affaire. La veille du putsch, le lieutenant-colonel Joleaud, attaché militaire de l'ambassade de France à Moroni, achevait une visite de trois jours sur l'île d'Anjouan. Par ailleurs, le départ négocié de Saïd Abeid vers Mayotte pour éviter d'éventuels troubles, s'est effectué en la présence du consul de France à Anjouan, M. Lanners. Il n'en fallait pas plus pour susciter des soupçons dans un archipel où l'on a souvent vu la main de la France derrière les nombreux coups d'Etat intervenus depuis l'indépendance.
Est-ce la raison pour laquelle Paris a tout de suite pris position au lendemain du putsch pour «la poursuite de la mise en £uvre de l'accord national de Fomboni» ? Le Quai d'Orsay a tenu en effet à préciser que «la France encourage toutes les parties en présence à continuer les efforts entrepris pour le retour à l'unité de la République fédérale islamique des Comores et pour le retour à la légalité institutionnelle, par la mise en place d'institutions démocratiques dans les trois îles et ceci sans que le calendrier en soit modifié». A Moroni, certains milieux politiques d'opposition n'ont toujours pas oublié que la France exprimait des réticences à l'heure de la signature des accords de Fomboni, en raison de la place réservée à Mayotte dans la déclaration d'intention concernant le Nouvel Ensemble en construction. L'ancienne «mère patrie» refuserait que sa collectivité départementale continue à être intégrée à l'histoire des autres îles de l'Archipel. Une attitude qui, jugent-ils, l'emmènerait à favoriser l'instabilité permanente. Y compris à Anjouan.
L'opposition est cependant partagée sur la question. «C'est vrai que certains ont voulu faire le rapprochement, explique un proche d'Abbas Djoussouf, chef de l'opposition sur la Grande Comore. Nous ne savons pas encore si la France a réellement contribué à ce coup. Nous ne savons pas non plus si c'est pour encourager le processus ou l'enliser un peu plus, qu'ils auraient voulu évincer Abeid. Ce qui est sûr, c'est que le pays se retrouve avec un coup d'Etat militaire de plus sur sa longue liste. Ce qui prouve en réalité que nous n'avons pas été en mesure, nous, les politiques, d'inventer une solution face à la situation qui est la nôtre depuis 1975.» Après le départ de Mayotte il y a vingt cinq ans et celui d'Anjouan il y a quatre ans, les leaders politiques nationaux, à l'en croire, auraient tous manqués d'imagination pour contrer les vents séparatistes. A commencer par le «père de la nation», Ali Soilih, qui, en 1975, est parti négocier avec les Mahorais le retour éventuel dans l'ensemble historique [Episode connu sous le nom de la "Marche Rose"]. Notre interlocuteur ajoute, toujours critique envers ses pairs: «à chaque fois, nous avons accusé la France d'avoir tout manigancé. Mais nous, qu'avons-nous vraiment proposé à la place ? Rien. C'est même un sujet qui fâche dans nos rangs.» La remise en cause est claire: «les putschs ne font que relater notre incapacité à dessiner un projet clair pour l'avenir de ce pays. Cela personne ne souhaite l'entendre dire». Il rejoint ainsi l'opinion de Soilih Mohamed Soilih, journaliste écrivain, qui parle, lui, d'une classe politique davantage animée par «un marchandage permanent» du pouvoir que par le quotidien du citoyen comorien. Dans le même registre, l'historien Mahmoud Ibrahim parle dans un de ses derniers ouvrages d'une conscience politique inexistante dans l'archipel, «même parmi les farouches défenseurs de la nation comorienne». Tous, bien sûr, condamnent les coups de force. Mais aucun ne sait pour l'instant où se trouve la solution miracle pour réconcilier les îles. Résultat : Abeid parti, le brouillard persiste.
par Soeuf Elbadawi
Article publié le 21/08/2001