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Rwanda

Génocide: Washington face à ses responsabilités

Washington avait prévu le génocide au Rwanda. Et en dépit des informations alarmantes dont disposait à l'époque le Département de la défense, les diplomates américains ont prôné le retrait de la Minuar, la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda, qui aurait pu protéger les civils. Ce sont des documents, jusque là conservés aux archives de la Sécurité nationale américaine, qui l'affirment.
Les Etats-Unis, eux aussi, savaient. Selon ces documents, rassemblés dans un rapport, déclassifiés et rendus publics lundi à Washington par la National Security Archive, les milices hutues, appuyées par des éléments des forces armées, ont installé des barrages sur les routes tout en se déployant à travers le Rwanda et ce, quelques heures après que l'avion transportant les présidents rwandais et burundais eût été abattu. L'assassinat du président Habyarimana et de son homologue burundais a déclenché le début des massacres, où, selon les sources, plus de 800 000 personnes ont péri, au cours de la plus grande tragédie qu'ait connue le continent africain.

Toujours selon ces mêmes documents, le département de la Défense était au courant de ces activités. Dans une lettre adressée au sous-secrétaire de la Défense Frank Wisner, un responsable du Pentagone affirme qu'à moins «de parvenir à convaincre les deux parties de retourner au processus de paix, un bain de sang majeur s'ensuivra qui pourrait vraisemblablement s'étendre au Burundi». Pourtant, trois jours plus tard, les diplomates américains ont préconisé «un retrait en bon ordre» de la Minuar, laissant des centaines de milliers de civils aux mains des bourreaux.

Considérant la situation, précise l'un des documents, le département d'Etat a estimé à l'époque «qu'il n'y a pas suffisamment de justifications à maintenir une mission de paix de l'ONU au Rwanda». Le 21 avril 1994, soit quinze jours après l'assassinat du président rwandais Juvenal Habyarimana, le Conseil de sécurité a voté en faveur du retrait de la Minuar.

Washington fait amende honorable

Créée en octobre 1993, la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda devait permettre l'application des accords de paix d'Arusha. Mais, forte d'un contingent de 2500 hommes, la Minuar s'est révélée impuissante à mettre en oeuvre ces accords et à enrayer les violences. En publiant aujourd'hui ces documents tenus jusque là secrets, les Etats-Unis font amende honorable. Car de son côté, Paris nie toujours toute responsabilité même si une mission parlementaire, présidée par Paul Quilès, a reconnu en décembre 1998, au terme d'une enquête de neuf mois, que de «graves erreurs d'appréciation» avaient été commises.

La France, qui a soutenu jusqu'au bout le régime Habyarimana en lui fournissant notamment un appui militaire et logistique, a mené en juin 1994, et sous couvert de l'ONU, une opération humanitaire baptisée «opération Turquoise». Une zone humanitaire avait été créée par les Français dans le sud-ouest du pays. Son action a été vivement dénoncée par le FPR, le Front patriotique rwandais, l'OUA, l'Organisation de l'unité africaine et de nombreuses ONG, qui ont reproché aux Français d'avoir permis la fuite et la mise à l'abri de Hutus génocidaires.

Depuis, les relations entre Paris et Kigali ont été mises à mal. La semaine dernière, le chef de la diplomatie française a tenté de normaliser les relations bilatérales au cours d'une brève escale à Kigali. A l'issue d'une rencontre avec le président Kagamé, Hubert Védrine a exprimé le souhait que la France aide à la reconstruction au Rwanda. Quant aux responsabilités réelles de Paris, Hubert Védrine a maintenu que le «la politique française de l'époque» avait été «présentée de façon injuste». «On avait essayé au Rwanda, un peu comme d'autres le tentent aujourd'hui au Burundi, de faire en sorte que les hutus et les tutsis arrivent à se mettre d'accord pour partager le pouvoir. Cette espérance s'est cassée sur un certain nombre de refus extrémistes, sur le projet fou d'une ethnie contre une autre

Contrairement à la plupart des responsables étrangers de passage au Rwanda, le ministre français des Affaires étrangères ne s'est recueilli sur aucun site commémorant le génocide. On est encore loin de l'examen de conscience et des excuses publiques formulées par la Belgique, l'ancien colonisateur de ce petit pays de la région des Grands lacs. C'est pourquoi le geste des Etats-Unis est éloquent à plus d'un titre.



par Sylvie  Berruet

Article publié le 21/08/2001