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Balkans

Skopje : le chacun pour soi comme règle de vie

La capitale macédonienne est une ville divisée. Le conflit qui oppose les séparatistes albanais de l'UCK aux forces de l'ordre fait monter la tension entre les deux communautés qui vivent côte à côte tout en s'ignorant depuis des années.
De notre correspondant dans les Balkans

A Skopje, il suffit de passer le pont sur la rivière Vardar pour changer d'univers. Sur la rive droite s'étend la ville macédonienne, sur la rive gauche, la ville albanaise. Les recensements de population sont toujours l'objet d'âpres polémiques, mais les Albanais représentent environ 200 000 des 500 000 habitants de la capitale macédonienne.

L'immeuble de Teuta Harifi se dresse dans la ville albanaise, en contrebas de la citadelle de Kale, l'un des rares vestiges du vieux Skopje épargné par le tremblement de terre de 1963. Quelques femmes vont faire leurs courses en portant le voile et le strict «manteau islamique» et, dans les commerces du quartier, l'usage de l'albanais est presque exclusif. «Dans notre immeuble, il y a deux familles macédoniennes, tous les autres appartements sont habités par des Albanais», explique Teuta, professeur de littérature albanaise à l'Université de Skopje.

Les relations sont-elles bonnes entre voisins macédoniens et albanais ? «Nous nous disons bonjour, mais nous évitons toujours de parler de la situation politique». Il n'est en tout cas question d'aller prendre le café les uns chez les autres. Pour Teuta, le partage géographique ne remonte qu'à une quinzaine d'années. «Les Albanais qui habitaient dans des quartiers macédoniens sont partis, parce qu'ils avaient peur des petites brimades au quotidien, de voir des enfants casser leur voiture ou de retrouver des graffitis sur leur porte. Depuis le milieu des années 1980, les Albanais et les Macédoniens se regroupent chacun de leur côté. On se sent plus en sécurité avec des gens de sa communauté», explique Teuta, qui ajoute en riant: «laissez-nous encore quelques années, et le partage sera totalement effectué. Il n'y aura pas besoin de soldats français sur le pont du Vardar pour séparer les populations, comme à Mitrovica !»

La séparation entre communauté, une chance ?

Les combats qui ont éclaté à la fin du mois de juin dans le faubourg d'Aracinovo, à quelques kilomètres du centre de Skopje, ont achevé de solidifier le mur entre les communautés. «Durant les combats, presque tous les Albanais de l'immeuble étaient partis se réfugier au Kosovo. Et les Macédoniens avaient reçu des armes du gouvernementà Comment pourrais-je lier amitié avec des voisins que j'ai vu parader dans le quartier en uniforme de réservistes de la police ? Si mes voisins reçoivent des armes de la police, cela veut dire que cette police ne protège pas tous les citoyens, mais seulement les Macédoniens, et que l'Etat n'existe plus mais qu'il est au service d'une seule communauté».

Pour Teuta, cette stricte séparation entre communautés pourrait, paradoxalement, représenter une chance pour la Macédoine. «En Bosnie, les gens vivaient vraiment ensemble, se mariaient entre eux, et il y a eu des centaines de milliers de morts. Si un accord politique était rapidement conclu en Macédoine, la vie pourrait reprendre presque comme auparavant, chacun de son côté».

Teuta sait bien que le temps est un facteur majeur. «La guerre s'installe peu à peu dans la tête des gens. Si les Macédoniens refusent tout accord, alors la Macédoine sera condamnée et le pays éclatera. La vraie guerre n'aura pas lieu pour le contrôle des villages où l'UCK s'est installée, mais ici, pour Skopje, pour le partage de cet espace urbain». Depuis des mois déjà, personne ne franchit les ponts sur le Vardar sans avoir de bonnes raisons de le faire. «Je peux aller de l'autre côté pour mon travail, mais l'idée ne me viendrait pas d'aller m'asseoir à la terrasse d'un café macédonien», reconnaît Teuta.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 04/08/2001