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Corse

Haro sur l'amnistie

Réactions contrastées à l'issue des journées internationales indépendantistes corses à Corte (Haute-Corse), au cours desquelles les nationalistes corses ont demandé la libération des prisonniers liés à leurs activités.
Doit-on considérer les prisonniers séparatistes corses comme des prisonniers politiques, et si oui, doit-on les amnistier ? Les dirigeants des organisations séparatistes ont jeté un trouble dans la classe politique française en plaçant au c£ur de leur dialogue avec l'Etat «l'amnistie des prisonniers recherchés». Cette revendication, portée par le chef de file de Corsica Nazione Jean-Guy Talamoni, inclut explicitement le tueur présumé du préfet Claude Erignac, en fuite depuis trois ans et demi. Le rapprochement des «patriotes incarcérés» et leur transfèrement vers les prisons de l'île est demandé, en préalable, comme «mesure humanitaire». Ces revendications ont été réaffirmées ce mardi, Jean-Guy Talamoni ayant demandé un «geste» du gouvernement en faveur des prisonniers «politiques» corses. «Aujourd'hui, après un an et demi de dialogue et de cessez-le-feu des organisations clandestines, il nous paraît tout à fait naturel de commencer à travailler sur la question de la libération des prisonniers politiques». Ceux-ci sont actuellement 43 : ce sont les personnes détenues pour des infractions commises en relation avec une entreprise terroriste. Sur ces 43 personnes, huit ont déjà été condamnées par un tribunal ou une cour d'assises.

C'est aussi le point de vue des Verts. L'ancien secrétaire général Jean-Luc Bennahmias a ouvert le feu lundi, déclarant qu'une amnistie totale n'est «pas impossible» en fin de processus et que les aspirations qui la guident «ne mettent pas en difficulté» le processus de Matignon. Celui-ci, a-t-il expliqué, «serait en difficulté s'il ne continuait pas à avancer, si en seconde lecture il n'y a pas des avancées qui sont faites, et si on ne reconnaît pas aux prisonniers le statut de prisonnier politique». Aussi, si la priorité reste l'aboutissement du dialogue avec les autorités publiques, «la position des Verts est qu'on doit reconnaître le statut de prisonnier politique, aussi bien pour les Corses que pour les Bretons et les Basques». Une ligne confirmée par le candidat des Verts à l'élection présidentielle, Alain Lipietz, qui évoque mardi les situations de sortie de conflits : «dans l'histoire, quand on termine une guerre civile, il y a amnistie». Aussi estime-t-il que l'octroi du statut de prisonnier politique «ne se discute même pas», en précisant toutefois que le «préalable» en est «la fin de la violence». «Mais l'amnistie n'est pas une condition de la négociation, c'est là-dessus que j'insiste». Pour sa part, le journal Le Monde appuie ce point de vue, considérant dans son éditorial du 7 août que «mieux vaut une discussion ouverte, publique, transparente entre négociateurs plutôt que d'entretenir, par peur d'un tabou, des rumeurs de négociations secrètes».

«pas à l'ordre du jour»

Il n'en n'a pas fallu davantage au «clan républicain», jusque-là assez silencieux sur les déclarations de Corte, pour déclencher une avalanche de réactions et reprendre le procès des accords de Matignon. Pour Claude Goasguen, porte-parole de Démocratie libérale, la revendication des nationalistes signe l'arrêt de mort du processus qui va «probablement dans le mur», si l'on met bout à bout «les propos de Jean-Guy Talamoni, plus les propos de Jean-Luc Bennahmias, plus la reprise des attentats». Selon M.Goasguen, les propos de M. Bennahmias, qui n'excluent pas une amnistie pour l'assassin du préfet Erignac, constituent «une affaire grave», qui «contredisent mot pour mot les engagements du Premier ministre». Pour Jean-François Mattei, président du groupe DL à l'Assemblée nationale, «il ne peut pas y avoir d'amnistie (en Corse) pour des gens qui ont provoqué des attentats». Evoquant les prisonniers au coeur du débat, J-F. Mattei tranche : «je n'appelle pas cela des prisonniers politiques, j'appelle ça des terroristes».

Le RPR réagit dans les mêmes termes, estimant «intolérables» «les déclarations de certains membres de la majorité, dont monsieur Bennahmias, (à) qui plus est lorsqu'un préfet de la République a été abattu» selon le député RPR des Alpes-Maritimes Christian Estrosi. Pris à partie, le gouvernement doit désormais «clairement indiquer si monsieur Cochet et monsieur Hascoët rejettent la prise de position de leur parti sur l'amnistie des assassins du préfet Erignac, faute de quoi son double langage serait à nouveau démasqué». Réaction orageuse encore à l'UDF, dont le président délégué, Hervé de Charette, a dénoncé ce mardi la «faiblesse coupable» et la «lâcheté honteuse» du gouvernement face aux revendications des nationalistes corses. Selon M. de Charrette, les demandes libération des détenus incarcérés pour affaires de terrorisme confirment que le processus de Matignon n'est pour les activistes qu'une étape vers un but unique : l'indépendance de l'île, «y compris par la force».

A gauche, le Mouvement des Citoyens fustige sans complaisance les mêmes accords. George Sarre, président délégué du Mouvement, dénonce le «chantage» des nationalistes, un chantage qui démontre à quel point selon lui le gouvernement s'est «fourvoyé» dans les accords de Matignon. S'il n'est pas question de «l'acte de décès» évoqué à droite par M.Devedjian, «le gouvernement est placé devant une alternative simple: ou bien il cède encore et toujours aux surenchères et menaces, ou bien il décide d'y mettre un terme». Surenchères également critiquées par les communistes qui soulignent que la question de l'amnistie n'a pas fait partie des enjeux immédiats de la négociation entre le gouvernement et les élus insulaires. Les nationalistes «ne sont donc pas fondés à exercer les pressions qu'ils exercent aujourd'hui».

Prompt à répondre à ces diverses réactions, Matignon souligne que cette question de l'amnistie a toujours été l'une des revendications des nationalistes mais qu'elle n'est «pas à l'ordre du jour», conformément à ce qu'a toujours affirmé Lionel Jospin. Selon Vincent Peillon, porte-parole du PS, qui s'esxprimait ce mardi dans Le Figaro, «les assassins du préfet Erignac ne sont pas dans le lot commun des 'prisonniers politiques'. Il peut y avoir des mesures de rapprochement de certains prisonniers, si elle sont compatibles avec l'état des procédures, mais pas d'amnistie collective, et pas pour les assassins du préfet Erignac».

Les accords de Matignon, remaniés en première lecture à l'Assemblée nationale, doivent être examinés par le Sénat à l'automne avant de revenir devant les députés à la fin de l'année.



par Marie  Balas

Article publié le 07/08/2001