Iran
Khatami sous les tirs des réformateurs
Après une descente de police, dimanche, dans les rues de Téhéran, les députés réunis au Parlement pour avaliser le nouveau gouvernement débattent âprement du blocage des institutions. Le président Khatami est en ligne de mire. L'occasion de s'arrêter sur une scène politique en effervescence.
Journées mouvementées en Iran. Au moment où le Parlement se réunissait dimanche pour le vote de confiance au nouveau gouvernement, la police a procédé en fin de matinée à une descente spectaculaire dans les quartiers branchés de Téhéran. Sa mission : rétablir «l'ordre islamique» imposé par la révolution de 1979 et quelque peu dés-ordonné ces dernières années. Pour mener cet ambitieux projet à bien, il fallait s'assurer en priorité que tout objet susceptible, le long des galeries marchandes, d'évoquer la nudité de la femme - mannequins, sous-vêtementsà- ait été définitivement mis hors d'état de nuire. Devaient également avoir rejoint le purgatoire des éléments indécents : les chiens, singes et petits cochons, tout vêtement ou poster frappés à l'effigie d'acteurs occidentaux ou de chanteurs de rock, toute musique «illégale» ou audible depuis l'extérieur d'une boutique. Ces dispositions avaient été spécifiées par une notice rendue publique vendredi.
Atterrés, les jeunes qui aiment à se retrouver dans ces lieux où ils disposent d'une grande liberté ont assisté à des scènes semblant surgir d'une époque ûla révolution islamique- qu'ils n'ont pas connue. Cette opération coup de poing intervient dans un climat tendu, des flagellations publiques ayant eu lieu récemment. Aussi, dans un pays où toute une génération aspire à déployer ses ailes -70% des Iraniens ont moins de 30 ans-, l'amertume est sur les lèvres. Mohammad Khatami, plébiscité le 8 juin 2001 lors des élections présidentielles, n'est pas en mesure de leur garantir cette même liberté qu'il leur a obtenu lors de son premier mandat.
Ces critiques ne sont pas l'exclusivité des jeunes. Au Majlis, le Parlement, c'est l'heure des règlements de comptes. La composition du nouveau gouvernement proposé par le président aurait dû être entérinée ce dimanche. Or M. Khatami s'est heurté à des réactions très vives de la part de la part de ses propres députés. Devant le faible renouvellement du gouvernement (5 nouveaux ministres sur 20), les réformistes radicaux ont dénoncé l'atonie politique du président malgré son écrasante victoire en juin. «Il n'y a pas d'harmonie entre le gouvernement et les slogans du mouvement réformiste», s'est indigné le député Akbar Alami du parti MP, «nous ne devrions pas laisser entrer ne serait-ce qu'un ministre tiède au gouvernement.». La paralysie des institutions politiques face au pouvoir ûet à la justice- conservatrice reste le point hautement sensible. Lundi, le ministre de la Justice Ismail Shushtari a été l'objet d'une vive interpellation. «A quoi servez-vous ? l'a pris à partie un député, quand la justice a lancé son offensive contre les journaux réformateurs, qu'avez-vous fait ?». La tension est encore montée de plusieurs crans lors de l'annonce, mardi, de l'accusation à 22 mois de prison de Fatemeh Haghighatjou, député réformatrice, pour «propagande contre le régime islamique». Cette annonce a délayé encore le vote de confiance. Depuis un an, une trentaine de députés ont ainsi fait l'objet de poursuites judiciaires.
Aussi les députés se font-ils l'écho d'un vrai malaise parmi la population : qui détient le vrai pouvoir en Iran ? Comment la police peut-elle perquisitionner des magasins contre l'avis même de l'autorité légitime, le préfet de police?
Le paradoxe est que si la majorité des 190 députés réformateurs annonce son intention de s'opposer aux nominations du gouvernement, les conservateurs, qui contrôlent environ 80 sièges, devraient voter en leur faveur et assurer ainsi l'investiture. Une stratégie pour éviter des changements plus radicaux et pour tenter, par tous les moyens, d'interférer dans les projets du clan réformateur. Selon Bernard Hourcade, chercheur au CNRS et spécialiste du monde iranien, entre les arrestations, les sulfureuses descentes de police et la voie régulière d'un vote parlementaire, ce qui s'exprime est un même désarroi du clan conservateur et une même tentative désespérée pour bloquer les institutions. La multiplication des mesures répressives, ces derniers temps, n'a rien de très nouveau : «cela existait déjà il y a quatre ans ! Et le temps n'est pas encore mûr pour que ça cesse. A mon avis, l'Iran a encore quatre autres années devant elle, le temps d'un nouveau mandat, avant d'observer des avancées décisives en matière de politique». D'autant plus que certains leaders du parti conservateur croient encore possible «un retour au bon vieil islam».
«Des trésors d'énergie»
Cependant, pour se faire une idée des tensions qui traversent aujourd'hui la scène politique iranienne, il faut également bien identifier qui est à la tête des réformateurs. «Eux aussi sont des hommes issus de la révolution islamique, rappelle Bernard Hourcade, même s'ils défendent une vision moderne de la politique. Or il existe une tradition très ancrée d'unité et de consensus au sein du clergé iranien. Le conflit y est tabou. Khatami joue un rôle de tampon, il rentre tout à fait dans ce cadre.». Aussi, lorsque la question des libertés individuelles (la tenue vestimentaire) coïncide avec celle des symboles religieux (le voile), le président iranien ne peut rien faire que d'assister, impuissant, à la primauté de la doctrine religieuse. Les débats houleux qui agitent aujourd'hui le Majlis n'expriment donc pas un simple accès d'exaspération de la part des radicaux. Ils soulèvent un problème structurel.
Faut-il en conclure que l'Iran est voué à un statu quo sans issue ? Non, car la société iranienne recèle «des trésors d'énergie». Si elle est guettée par une amère désillusion à l'égard des personnalités en qui elle a fondé de bouillonnants espoirs, il n'est pas dit qu'elle sombre dans l'abattement, encore moins dans l'insurrection ûce n'est pas dans sa culture. Le principal risque est que les jeunes cherchent par tous les moyens à quitter le pays. Mais, averti Bernard Hourcade, «c'est une société incontrôlable, en effervescence, très intelligente. Il n'est qu'à voir la production littéraire et scientifique, stupéfiante, pour s'en convaincre. Elle est capable de beaucoup.» Son principal défi aujourd'hui est de se structurer pour imprimer une poussée décisive au débat politique. «La seule vraie question maintenant, c'est qu'elle se constitue, cela prendra encore du temps.». Cette même société civile que le président Khatami a cherché à susciter sans relâche tout au long de son premier mandat, en multipliant les espaces culturels et associatif, reste donc l'enjeu de sa deuxième présidence ûet son meilleur atout.
Atterrés, les jeunes qui aiment à se retrouver dans ces lieux où ils disposent d'une grande liberté ont assisté à des scènes semblant surgir d'une époque ûla révolution islamique- qu'ils n'ont pas connue. Cette opération coup de poing intervient dans un climat tendu, des flagellations publiques ayant eu lieu récemment. Aussi, dans un pays où toute une génération aspire à déployer ses ailes -70% des Iraniens ont moins de 30 ans-, l'amertume est sur les lèvres. Mohammad Khatami, plébiscité le 8 juin 2001 lors des élections présidentielles, n'est pas en mesure de leur garantir cette même liberté qu'il leur a obtenu lors de son premier mandat.
Ces critiques ne sont pas l'exclusivité des jeunes. Au Majlis, le Parlement, c'est l'heure des règlements de comptes. La composition du nouveau gouvernement proposé par le président aurait dû être entérinée ce dimanche. Or M. Khatami s'est heurté à des réactions très vives de la part de la part de ses propres députés. Devant le faible renouvellement du gouvernement (5 nouveaux ministres sur 20), les réformistes radicaux ont dénoncé l'atonie politique du président malgré son écrasante victoire en juin. «Il n'y a pas d'harmonie entre le gouvernement et les slogans du mouvement réformiste», s'est indigné le député Akbar Alami du parti MP, «nous ne devrions pas laisser entrer ne serait-ce qu'un ministre tiède au gouvernement.». La paralysie des institutions politiques face au pouvoir ûet à la justice- conservatrice reste le point hautement sensible. Lundi, le ministre de la Justice Ismail Shushtari a été l'objet d'une vive interpellation. «A quoi servez-vous ? l'a pris à partie un député, quand la justice a lancé son offensive contre les journaux réformateurs, qu'avez-vous fait ?». La tension est encore montée de plusieurs crans lors de l'annonce, mardi, de l'accusation à 22 mois de prison de Fatemeh Haghighatjou, député réformatrice, pour «propagande contre le régime islamique». Cette annonce a délayé encore le vote de confiance. Depuis un an, une trentaine de députés ont ainsi fait l'objet de poursuites judiciaires.
Aussi les députés se font-ils l'écho d'un vrai malaise parmi la population : qui détient le vrai pouvoir en Iran ? Comment la police peut-elle perquisitionner des magasins contre l'avis même de l'autorité légitime, le préfet de police?
Le paradoxe est que si la majorité des 190 députés réformateurs annonce son intention de s'opposer aux nominations du gouvernement, les conservateurs, qui contrôlent environ 80 sièges, devraient voter en leur faveur et assurer ainsi l'investiture. Une stratégie pour éviter des changements plus radicaux et pour tenter, par tous les moyens, d'interférer dans les projets du clan réformateur. Selon Bernard Hourcade, chercheur au CNRS et spécialiste du monde iranien, entre les arrestations, les sulfureuses descentes de police et la voie régulière d'un vote parlementaire, ce qui s'exprime est un même désarroi du clan conservateur et une même tentative désespérée pour bloquer les institutions. La multiplication des mesures répressives, ces derniers temps, n'a rien de très nouveau : «cela existait déjà il y a quatre ans ! Et le temps n'est pas encore mûr pour que ça cesse. A mon avis, l'Iran a encore quatre autres années devant elle, le temps d'un nouveau mandat, avant d'observer des avancées décisives en matière de politique». D'autant plus que certains leaders du parti conservateur croient encore possible «un retour au bon vieil islam».
«Des trésors d'énergie»
Cependant, pour se faire une idée des tensions qui traversent aujourd'hui la scène politique iranienne, il faut également bien identifier qui est à la tête des réformateurs. «Eux aussi sont des hommes issus de la révolution islamique, rappelle Bernard Hourcade, même s'ils défendent une vision moderne de la politique. Or il existe une tradition très ancrée d'unité et de consensus au sein du clergé iranien. Le conflit y est tabou. Khatami joue un rôle de tampon, il rentre tout à fait dans ce cadre.». Aussi, lorsque la question des libertés individuelles (la tenue vestimentaire) coïncide avec celle des symboles religieux (le voile), le président iranien ne peut rien faire que d'assister, impuissant, à la primauté de la doctrine religieuse. Les débats houleux qui agitent aujourd'hui le Majlis n'expriment donc pas un simple accès d'exaspération de la part des radicaux. Ils soulèvent un problème structurel.
Faut-il en conclure que l'Iran est voué à un statu quo sans issue ? Non, car la société iranienne recèle «des trésors d'énergie». Si elle est guettée par une amère désillusion à l'égard des personnalités en qui elle a fondé de bouillonnants espoirs, il n'est pas dit qu'elle sombre dans l'abattement, encore moins dans l'insurrection ûce n'est pas dans sa culture. Le principal risque est que les jeunes cherchent par tous les moyens à quitter le pays. Mais, averti Bernard Hourcade, «c'est une société incontrôlable, en effervescence, très intelligente. Il n'est qu'à voir la production littéraire et scientifique, stupéfiante, pour s'en convaincre. Elle est capable de beaucoup.» Son principal défi aujourd'hui est de se structurer pour imprimer une poussée décisive au débat politique. «La seule vraie question maintenant, c'est qu'elle se constitue, cela prendra encore du temps.». Cette même société civile que le président Khatami a cherché à susciter sans relâche tout au long de son premier mandat, en multipliant les espaces culturels et associatif, reste donc l'enjeu de sa deuxième présidence ûet son meilleur atout.
par Marie Balas
Article publié le 21/08/2001