Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Côte d''Ivoire

Yopougon : les gendarmes acquittés

Non coupables : les huit gendarmes accusés de meurtre et assassinat dans l'affaire du charnier de Yopougon ont été innocentés. La réclusion criminelle à perpétuité avait été pourtant requise. Les défenseurs des victimes dénoncent une mascarade et estiment que la Côte d'Ivoire a raté une occasion d'apaiser les tensions et de tourner la page des sanglants événements de l'année dernière.
L'annonce du verdict a fait l'effet d'un coup de massue pour les organisations de défense des victimes. Joint au téléphone, Me Ibrahima Doumbia, responsable du Mouvement ivoirien des droits de l'homme - l'organisation qui a été déboutée au même titre que deux autres parties civiles dans ce procès - est abasourdi. Il ne trouve plus ses mots.

«On accuse le coup même si c'était joué d'avance, dit-il. C'est une très grande déception, nous n'avons plus confiance dans la justice de notre pays. Le tribunal militaire fait preuve d'une grande hypocrisie».

Le MIDH estime que la Côte d'Ivoire vient de laisser passer une chance d'aller vers l'apaisement, après les troubles sanglants qu'elle a connues l'année dernière. «Tout a été fait pour que les victimes ne puissent pas venir», poursuit Me Ibrahima Doumbia, rappelant que les témoins ont préféré s'abstenir, par crainte pour leur sécurité.

Les gendarmes sont «déclarés non coupables faute de faits établis à leurs égards», a déclaré Déli Sépleu, le président du tribunal militaire, installé dans le camp de gendarmerie d'Agban. Le verdict a été salué par des acclamations de joie, le public étant essentiellement composé de gendarmes ou de proches des accusés.

«Nous avons été confrontés à des zones d'ombre dans ce procès», a précisé le président du tribunal. Les gendarmes ont tous comparu libres pendant les audiences où ils ont affirmé leur innocence dans ce massacre où 57 corps sans vie avaient été retrouvés dans la banlieue d'Abidjan, le 27 octobre 2000, quelques jours après l'élection de Laurent Gbagbo, entourée de nombreuses violences.

«Tous nos espoirs reposent sur la justice belge»

La veille, au cours du réquisitoire, le procureur du tribunal militaire, Ange Kessy, avait réclamé la réclusion criminelle à perpétuité et la dégradation et l'expulsion de la Gendarmerie du commandant Victor Bé Kpan, commandant de l'équipe de gendarmes incriminés.

Ceux-ci faisaient partie d'une unité dont un officier avait été tué le 26 octobre 2000 dans le quartier d'Abobo, lors de manifestations de partisans de l'ancien Premier ministre Alassane Ouattara, qui réclamaient l'organisation d'un nouveau scrutin présidentiel. «Bé Kpan a galvanisé les jeunes, cet homme est très dangereux parce qu'au lieu de calmer ses éléments, ils les a entraînés dans cette tuerie», avait accusé le procureur, affirmant que c'est «la vengeance qui les a poussés à commettre ces crimes».

Le 20 juillet dernier, un rapport de l'ONU a étayé l'argumentation de l'accusation : l'expertise balistique effectuée sur place indique qu'au moins six armes ont été utilisées dans le massacre et qu'elles sont compatibles avec celles utilisées par les gendarmes du camp d'Abobo. La commission avait estimé que «l'implication des gendarmes du camp d'Abobo dans ce massacre semble être indiscutable».

«Tous nos espoirs sont désormais tournés vers la justice belge», conclut Me Ibrahima Doumbia, du Mouvement ivoirien des droits de l'homme. Dépité, l'avocat fait référence au fait que le parquet de Bruxelles a estimé recevables, (en vertu de la fameuse compétence universelle), les plaintes déposées contre le président Gbagbo, son prédécesseur Robert Gueï et l'actuel ministre de la Défense Moïse Lida Kouassi pour crimes contre l'humanité et atteintes aux droits de l'homme.

Contrairement aux organisation humanitaires qui se sont indignées de cet acquitement, Pascal Affi N'Guessan, le Premier ministre ivoirien, a estimé sur RFI que la décision du tribunal était «normale».



par Sylvie  Berruet

Article publié le 04/08/2001