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Zimbabwe

Mugabe poursuit sa fuite en avant

La crise s'intensifie au Zimbabwe, alors que le président Mugabe a annoncé l'extension du programme controversé de redistribution d'exploitations blanches aux sans-terre Noirs. Dans la perspective de la prochaine présidentielle, le vieux chef de l'Etat n'entend rien concéder, quitte à accroître son isolement international.
Robert Mugabe persiste et signe. A l'approche de la campagne pour la présidentielle 2002, le chef de l'Etat zimbabwéen a annoncé, samedi 11 août, la poursuite et même l'intensification du programme de redistribution des terres toujours détenues par la minorité blanche. Dans un discours enflammé, à l'occasion de la journée des héros de l'indépendance, il a corrigé les chiffres annoncés quelques jours plus tôt par le ministre chargé de la Réforme foncière. Ce ne sont pas 8,3 millions mais 9,5 millions d'hectares appartenant à des Zimbabwéens d'origine européenne, soit plus de 5 300 exploitations agricoles, qui seront saisis pour y réinstaller des paysans sans terre.

Depuis le début de l'année 2000, la stratégie du vieux président, âgé de 77 ans, n'a pas varié. Face à la montée de l'opposition, il joue sa dernière carte en s'attaquant aux fermiers blancs, détenteurs de 70% des terres les plus fertiles du pays et qu'il accuse de soutenir son principal adversaire Morgan Tsvangirai, leader du Mouvement pour le changement démocratique (MDC). Les législatives de juin 2000 ont été marquées par une campagne de violences orchestrées en haut lieu, contre les militants de ce parti et les exploitants d'origine européenne.

La tension n'est en fait jamais retombée. La presse locale relate presque quotidiennement les incidents qui se produisent dans les fermes occupées par des familles noires. Ceux-ci prennent parfois une tournure dramatique. Comme pour ce fermier blanc de 76 ans, dont la propriété était occupée depuis un an, tué par des inconnus, il y a une semaine, dans la région de Kwekwe (centre du pays). Au même moment, vingt-trois de ses congénères étaient arrêtés à Chinhoyi (Nord), après s'être violemment battus contre des squatters. Quelques semaines plutôt, un fermier blanc avait tué un Noir à qui devait être attribuée une partie de sa propriété.

Blancs et Noirs quittent le pays

Cette situation a de graves conséquences sur les relations entre des communautés qui, jusqu'à récemment, cohabitaient sans trop d'accrocs. Un nombre croissant de Zimbabwéens blancs émigrent vers des cieux plus cléments. Ils ne sont pas les seuls. Beaucoup de Noirs, le plus souvent diplômés, préfèrent également s'établir ailleurs, fuyant un contexte économique de plus en plus dégradé. Deuxième puissance régionale, derrière l'Afrique du Sud, le Zimbabwe a renoué avec une inflation à deux chiffres, 60% au mois de juin selon les chiffres officiels, et connaît une grave récession qui risque d'empirer avec la sécheresse frappant le pays.

Mais rien ne semble pouvoir faire plier le président zimbabwéen. Les pressions de Londres, l'ancienne puissance coloniale, ont eu l'effet inverse en servant sur un plateau à Robert Mugabe l'argument de l'oppression néo-coloniale. Le vote, début août, par le Sénat américain d'une loi encourageant l'administration Bush à soutenir le mouvement démocratique au Zimbabwe et à appliquer des sanctions ciblées contre Harare a provoqué une réaction attendue. «Nous mènerons à bien cette réforme agraire, avec ou sans les sanctions», a martelé Robert Mugabe, le 11 août. «Notre crime est que nous sommes noirs, et en Amérique les Noirs sont une race condamnée», a ajouté un dirigeant passé maître dans l'art de tourner la moindre critique occidentale en manifestation de racisme.

La dérive actuelle du Zimbabwe n'inquiète pourtant pas ses seuls partenaires occidentaux. A commencer par son grand voisin sud-africain, qui craint à la fois un afflux de réfugiés et une contagion. Le président Mbeki est régulièrement critiqué pour sa timidité en matière de réforme foncière, alors que l'inégale répartition des terres entre Blancs et Noirs est criante dans son pays. D'où son obstination à éviter toute confrontation avec son homologue zimbabwéen, qui lui aliénerait son aile gauche, et son choix d'une «diplomatie douce» à l'égard de Harare. Thabo Mbeki a été contraint récemment de reconnaître que Robert Mugabe «ne l'écoute pas». Mais en dépit des pressions d'une opposition réclamant des sanctions, Pretoria entend maintenir le dialogue avec Harare. C'est visiblement aussi la position des autres Etats de la région. Réunis à Blantyre, au Malawi, pour le sommet de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), ouvert ce dimanche 12 août, les dirigeants de la zone ont opté pour de discrètes négociations avec les dirigeants zimbabwéens, au détriment d'un affrontement qui, à leurs yeux, ne pourrait que braquer un peu plus Robert Mugabe.



par Christophe  Champin

Article publié le 13/08/2001